Il faut attendre les dernières pages de ce volume pour que l’auteur de Debussy à la plage s’explique sur ses intentions. « Les photographies prises parle musicien ou par ses proches […], si elles ont été souvent reproduites dans les études biographiques comme simples illustrations, n’ont guère été analysées ». Partant de ce constat, Rémy Campos se lance dans une véritable enquête policière, en se focalisant sur une douzaine de clichés réalisés par la famille Debussy en vacances à Houlgate en août 1911. Le dernier tiers de son ouvrage n’en sera pas moins consacré à la résidence parisienne du compositeur. Mais avant d’en arriver là, cent quarante pages sont consacrées à l’étude minutieuse de ce cadre quasi-proustien où ont séjourné Claude-Achille, sa seconde épouse et leur fille. Houlgate, son Grand Hôtel, son casino, sa plage, ses baigneurs, ses tentes et ses cabines, son sable et sa mer : tel est l’arrière-plan des photographies debussystes, mais aussi le sujet d’innombrables cartes postales qui évoquent une certaine idée de la villégiature. La plage comme théâtre mondain où se rejoue chaque jour la même comédie, à peine décalée par la variation quotidienne de l’heure des marées.
Vacancier parmi d’autres, Debussy se distingue malgré tout de la foule élégante, car il refuse d’adopter le costume clair et ne coiffe que rarement le canotier de rigueur. Inutile de rêver, il n’existe aucune photo du compositeur en maillot de bain. « Dans les lettres que Claude écrit en août 1911, un enthousiasme modéré pour la station choisie par sa femme cède bientôt la place à une franche aversion ». Durant ce mois au bord de la mer, Debussy aurait dû orchestre pour Durand la Rhapsodie pour clarinette écrite quelques mois plus tôt comme épreuve pour un concours du conservatoire. Ce moyen facile de gagner de l’argent, il répugne à en profiter, et il y a lieu de soupçonner qu’il ne s’est mis à la tâche qu’une fois rentré à Paris, après l’épreuve qu’a dû représenter le séjour à Houlgate, « théâtre stérile sur lequel Claude n’a pas réussi à prendre pied ».
La fin des vacances est le prétexte saisi par Rémy Campos pour se focaliser sur les portraits photographiques de Debussy dans l’hôtel particulier qu’il louait, Square de l’Avenue du Bois. Le dernier tiers du livre est consacré au lieu que la famille Debussy regagne à son retour de vacances : l’hôtel particulier du square de l’Avenue du Bois, non loin de ce qui s’appelle aujourd’hui Avenue Foch, alors « le plus grand théâtre mondain à ciel ouvert d’Europe », lieu aujourd’hui plus ou moins tombé en déshérence, pavillons abandonnés et trottoirs défoncés. « A l’inverse de sa position à Houlgate, Claude Debussy est celle fois l’autochtone dont des étrangers envahissent l’espace vital ». Les clichés conservés ne montrent pourtant guère le compositeur hors de sa maison et de son jardin, et il faut toute l’ingéniosité du chercheur pour dénicher, parmi les photographies prises par un jeune voisin nommé Jacques-Henri Lartigue, quelques images qui pourraient bien nous montrer Madame Debussy en promenade au Bois. Ultime rebondissement : Lartigue était à Etretat en 1907, et a légendé une de ses images : « Je crois que c’est le grand musicien Claude Debussy ». Le profil barbu est-il bien celui de Claude-Achille ? La dame à l’ombrelle est-elle vraiment Emma Bardac ? Enigme à jamais irrésolue, mais qu’importe : « L’identification problématique du sujet présent dans la photographie est une nouvelle illustration du trouble proustien quant à la confusion des corps et des personnes ». Point ultime de l’expérience photographique, la dépossession, le vol de l’image par des inconnus, le portrait saisi à l’insu du modèle.
Pour compléter ce volume, un CD propose une « anthologie sonore » réunissant quelques enregistrements anciens, dont deux des Ballades de François Villon par Charles Panzéra.
A signaler: les images reproduites dans ce livre seront également visibles jusqu’au 15 décembre au Domaine national de Saint-Germain-en-Laye, ville natale du compositeur.