Depuis quelques années, l’opéra croit trouver un nouveau souffle en allant chercher ses livrets du côté du cinéma. On a ainsi vu se multiplier les adaptations lyriques directement inspirées de films plus ou moins célèbres, parfois en remontant aux romans qui avaient eux-mêmes inspirés le scénario desdits films. Et bien sûr, le phénomène connaît ses hauts et ses bas. Si L’Ange exterminateur de Thomas Adès est une admirable réussite, la récente Marnie présentée à Londres et à New York n’a pas convaincu tout le monde. Faut-il pour autant que l’opéra cesse d’emprunter au septième art ? La transposition de l’écran à la scène ne va pas de soi, car l’équivalence des durées est trompeuse : en une heure et demie ou deux heures, un film a le temps d’en dire bien plus long qu’un opéra, donc pas question de conserver le scénario tel quel (La Belle et la bête de Philip Glass étant peut-être l’exception qui confirme la règle). Et ce qui fait un grand film grâce à la magie du réalisateur et des comédiens ne débouche pas forcément sur un grand opéra. Par ailleurs, on peut attendre d’un œuvre lyrique que les voix s’y mêlent ou qu’un chœur intervienne, autant de choses que ne permet guère le dialogue réaliste en vigueur dans 99% des cas au cinéma.
Pour Sonate d’automne, d’après le film d’Ingmar Bergman sorti en 1978, il a évidemment fallu procéder à une adaptation de ce genre : Gunilla Hemming n’a pas hésité à introduire tout au long de son livret des scènes plus ou moins oniriques, où intervient « le public », autrement dit le chœur, qui couvre d’éloges la pianiste Charlotte Andergast, alors même que celle-ci doit affronter l’avalanche de reproches dont l’accable sa propre fille Eva. On voit aussi apparaître (et chanter) Leonardo, l’amant pour lequel Charlotte a jadis quitté son mari et ses enfants. Celle des deux filles qui a perdu l’usage de la parole, Helena, a droit à une scène où elle retrouve miraculeusement la voix et relate un épisode de sa vie passée. Pourtant, malgré tous ces efforts, l’intrigue piétine un peu, faute de véritable action dramatique. La musique de Sebastian Fagerlund n’agresse jamais l’auditeur et se laisse écouter, sans être spécialement mémorable. Comme souvent, hélas, l’inventivité du compositeur semble se cantonner aux instruments, sans rien de bien remarquable dans l’utilisation des voix. Le chef John Storgårds prend bien soin de mettre en relief les détails d’une orchestration qui recourt fréquemment aux cuivres pour rehausser le drame.
Et comme on l’a suggéré plus haut, il n’était pas simple de trouver deux chanteuses aptes à succéder à Ingrid Bergman et Liv Ullman. Il est permis de supposer que toute l’entreprise reposait sur la participation d’Anne Sofie von Otter : du haut de sa gloire, la mezzo-soprano suédoise possède une aura comparable à la gloire hollywoodienne dont était auréolée Ingrid Bergman. Ce rôle n’ajoute cependant pas grand-chose à sa réputation : le personnage de Charlotte devient à l’opéra franchement antipathique et caricatural et n’a rien pour se mettre vocalement en avant. Là où le bât blesse, c’est avec la présence d’Erika Sunnegårdh dans le rôle d’Eva. Ce que l’oreille remarque avant tout chez la soprano américaine, c’est un vibrato envahissant, lié sans doute à l’abus d’emplois lourds, wagnériens et straussiens. Pourquoi, mais pourquoi l’opéra d’Helsinki n’a-t-il pas confié ce personnage à la lumineuse Helena Juntunen, qui éclate littéralement dans l’unique scène où il lui est enfin permis de chanter véritablement, peut-être le plus beau moment de cet opéra ? Autour d’elle, deux voix graves seulement, comme si l’on avait avec soin évité le timbre de ténor : Tommi Hakala et Nicholas Söderlund jouent un peu les utilités. Le chœur de l’Opéra national finlandais est l’un des protagonistes du drame, et l’on se demande même à quel point Fagerlund n’est pas plus attiré par l’écriture chorale.