Année faste que 2018 pour les grands motets de Lalande, puisque qu’après Vincent Dumestre (Majesté et émotion à Versailles) Olivier Schneebeli nous en offre trois autres, tout aussi magnifiquement servis. Que de chemin parcouru en cinquante ans ! Sans entrer dans les considérations esthétiques ou instrumentales, il fallait ainsi un quart d’heure supplémentaire à Michel Corboz (qui avait été précédé d’Alexandre Cellier et de Marcel Couraud) pour achever le De profundis. Avec, ses solistes, son chœur et l’ensemble Collegium Marianum, nous ne sommes pas au Musée Grévin de la musique, malgré la volonté constante de fidélité aux voix, aux instruments, à la pratique du temps comme à l’espace acoustique : enregistrés dans la Chapelle royale du Château de Versailles, les trois grands motets se signalent par leur vigueur, l’apparat comme l’intériorité. Il n’est pas inutile de citer Titon du Tillet (description du Parnasse français, 1727) : «Le Roy qui se connaissoit parfaitement en musique, goûta fort celle de la Lande (…) La musique latine de la Lande a été exécutée à la Cour quarante ans avec applaudissement général, et notre monarque qui a témoigné souhaiter qu’on chantât de tems en tems dans sa Chapelle des motets de la composition de ce musicien, fait connoître la grande estime qu’on en fait ».
Encadré du Venite, exultemus Domino (Psaume 94) et du Dominus regnavit (Psaume 96), le plus célèbre des 77 grands motets, le De profundis (Psaume 129) nous est proposé dans sa version originale de 1689, marquée encore par l’influence de Lully, Du Mont et Robert. Les vastes proportions autorisent toutes les expressions comme les écritures les plus variées. Ainsi aux parties homophones, puissantes, grandioses s’opposent celles où Lalande tisse un contrepoint d’une richesse jusqu’alors inconnue dans la musique française. Soli, tutti, accompagnement confié à la seule basse continue, à l’orchestre ou aux instruments solistes renouvellent l’intérêt. Le travail sur les tensions chromatiques, les silences, le modelé des phrasés, les subtils équilibres vocaux et instrumentaux force l’admiration. Venite, exultemus Domino, de 1700, se signale également par sa dynamique, sa clarté comme sa fluidité et son raffinement. De 1704, le Dominus regnavit, qu’il est intéressant de comparer à la production de Mondonville, est empreint de grandeur, d’énergie contrastant avec le recueillement, la ferveur. Ainsi l’Adorate eum, où le soprano lumineux de Chantal Santon-Jeffery fait merveille. Comme elle, ses complices sont familiers de ce répertoire. Reinoud van Mechelen, toujours superbe de couleurs, de phrasé et de style, dont le Venite adoremus – avec chœur – du premier motet enregistré, est un modèle. François Joron, taille, n’intervient le plus souvent que dans les ensembles. Retenons cependant le finale du Dominus regnavit, où ses mélismes et son égalité se marient idéalement au chœur. Quant à Lisandro Abadie, que l’on retrouve ici avec plaisir, chacune de ses interventions nous vaut autant de bonheur, de l’introduction du De profundis, au superbe Nubes, et caligo (du dernier motet).
Olivier Schneebeli, anime cette musique, avec générosité. Le souffle qu’il donne au chœur, comme à l’ensemble instrumental, le Collegium Marianum, de Prague, donne vie à une musique dont tout schématisme est banni. La vie, les équilibres, l’élégance, tout est là. La lumière irradie et chacune des lignes, vocales comme instrumentales, est conduite avec art. Pour autant les passages homophones concourent à la grandeur de la partition. Signalons pour finir que l’ensemble tchèque joue remarquablement les instruments des Vingt-quatre violons du Roi, prêtés par le CMBV. Le plus bel hommage, celui de La Borde (Essai sur la musique, 1780) résume bien l’importance et le rayonnement du grand motet : « Les étrangers, depuis Lalande, donnent aux Français la primauté dans ce genre de musique sur toutes les nations d’Europe ».
La prise de son restitue au mieux l’acoustique de la Chapelle royale, avec les plus belles couleurs vocales et instrumentales, tout en donnant une lisibilité remarquable de chaque ligne. Outre les textes chantés et leur traduction (français-anglais), le livret comporte une introduction pertinente de Thomas Lecomte.