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Le succès grandissant que connaît la recomposition du Voyage d’hiver de Schubert par Hans Zender méritait au moins un enregistrement. En effet, nombre des ténors les plus en vue du moment se sont emparé de cette partition, lui assurant une notoriété allant bien au-delà du cercle très fermé des mélomanes bouléziens. C’est au jeune ténor Julian Prégardien, Liedersänger déjà confirmé, que revient la responsabilité de cet enregistrement.
Pour rappel, ce Winterreise d’après Schubert est bien plus qu’une simple transcription pour petit orchestre d’un cycle pour piano et voix. Il s’agit de tout un travail de réécriture, de recomposition de l’œuvre. Celle-ci reste tout à fait identifiable, mais Zender se plait à y glisser quelques dissonances, à couper brutalement les phrases musicales ou encore à éclater complètement le discours au moyens de modes de jeu faisant écho à la musique de Lachenmann. On peut ne pas apprécier les propositions faites par le « re-compositeur », considérer que cette transcription n’est que singerie lisztienne, ou que l’on perd en intimité avec un effectif aussi fourni, force est de constater que la lecture proposée par Zender est cohérente, et que les nouvelles idées musicales introduites sont toujours au service de la musique et du texte préexistants.
Soulignons la particularité de l’exercice pour Prégardien-fils. Alors que son père a déjà enregistré la version originale du Voyage à plusieurs reprises, son fils ne s’est pas encore risqué à l’exercice. C’est donc par Zender qu’il vient à Schubert, ce qui est loin d’être une garantie de sécurité. En effet, cette recomposition opte pour les lieder dans leur tonalité d’origine, encore plus aiguë pour certains que celle habituellement chantée par les ténors.
Pourtant, rien ne semble franchement effaroucher le chanteur qui mène son chemin tant et si bien que l’on ne décèle pas de réelle fatigue vocale (à l’exception d’un « Wegweiser », où le lyrisme finit par laisser poindre des aigus à peine vacillants). Bien plus que cela, ce sont des propositions musicales très touchantes qui émergent au cours de ce voyage, à l’image d’un « Erstarrung » sans emphase, où le drame se déroule intérieurement. A cette lecture à rebours des ultra-romantismes, Julian Prégardien ajoute une prononciation allemande équilibrée et transparente jusque dans les passages les moins traditionnels de l’œuvre.
Robert Reimer mène la Deutsche Radio Philharmonie d’une baguette précise, qu’une transparence des timbres et une prise de son juste assez résonante viennent magnifier. On s’interroge cependant à de nombreuses reprises sur la pertinence des tempi choisis. Si les lectures de Schubert façon Celibidache dans la Neuvième de Bruckner ne sont, Dieu merci, plus de ce siècle, de nombreux numéros semblent passer franchement vite dans cet enregistrement, « Frühlingstraum » perdant ainsi une bonne dose de sa poésie. A l’inverse, « Erstarrung » et « Einsamkeit » gagneraient certainement en qualité avec un peu moins de rigidité dans l’articulation. Il n’est cependant pas exclu que ces choix soient ceux opérés par Zender lui-même, auquel cas chef et soliste seraient à mettre hors de cause.
Malgré quelques réserves, cet album attire certainement l’attention de l’auditeur sur les capacités musicales de Julian Prégardien, et l’on souhaite ardemment qu’un Winterreise (sauce Schubert, cette fois) voie le jour dans les années à venir.
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