Le nom d’Emöke Baráth demeure sans nul doute associé à celui de Cavalli, chez qui nous la découvrions il y aura bientôt six ans à Aix, lors de la résurrection d’Elena. Elle a ensuite pris part au Xerse reconstitué par Emmanuelle Haïm et personne ne s’étonnera de la retrouver en duo avec Philippe Jaroussky sur le disque qu’il vient de lui consacrer. Toutefois, bien qu’elle ait inclus quelques extraits de Statira, c’est à la figure exceptionnelle de Barbara Strozzi que le soprano hongrois a d’abord voulu rendre hommage pour son premier récital chez Warner. Nous lui en sommes d’autant plus reconnaissant que le 400e anniversaire de sa naissance semble passer inaperçu et que sa discographie laisse franchement à désirer. A l’exception notable du florilège gravé par Leonardo García Alarcón, que cette brillante élève de Cavalli ne laisse pas de fasciner, les enregistrements qui lui sont entièrement dévolus peinent à restituer la vigueur expressive, sinon l’âpreté d’une écriture exempte de préciosité et qui ne cède jamais à la virtuosité gratuite. Il faut grappiller, ici et là, chez Roberta Invernizzi ou Roberta Mameli, quelques interprétations habitées mais isolées.
Dès la plage liminaire, parmi les plus jouées de Strozzi, ce « Che si può fare » où nous avons dans l’oreille l’entêtant souvenir d’une Mariana Flores en état de grâce, la pulpe du timbre, la franchise de l’émission nous surprennent agréablement alors que l’interprétation, très engagée, renouvelle la perspective. Habitués dans ce répertoire à des instruments plus légers, certains mélomanes seront sans doute heurtés par un chant qui leur paraitra trop appuyé (« Mi fa rider la speranza »), mais la prise de son n’y est sans doute pas non plus étrangère. Le producteur a planté ses micros dans cette Villa de San Fermo où tant de récitals ont été captés et où Alan Curtis, notamment, avait ses habitudes, mais à trop vouloir privilégier la soliste, les ingénieurs ont compromis l’équilibre avec l’orchestre et conféré à sa projection une arrogance excessive.
Quoi qu’il en soit, il suffit de réduire légèrement le volume de son ampli pour apprécier les nuances dynamiques que l’artiste est capable de distiller en exhalant les soupirs de l’amant éperdu (« Lagrime mie »). En outre, la plénitude sonore se double d’une puissance rhétorique qui enflamme également la musique de Cesti (« Speranza ingannatrice »). Tenir l’auditeur en haleine dans le vaste lamento de Barbara Strozzi « Sul Rodano severe » (près de treize minutes !) relève du tour de force et plus d’une chanteuse nous a perdu en chemin, or Emöke Barath l’investit comme une actrice, forte d’un tempérament qu’Elena ne laissait guère soupçonner mais qu’entretemps nous avons pu admirer ailleurs. L’amertume du bel Henri évoquant les faveurs de Louis XIII qui ont précipité sa chute constitue un des sommets de l’album.
Les fragments de Cavalli (La Statira) trahissent l’évolution d’une vocalité qui semble désormais un peu à l’étroit dans ce répertoire et s’épanouit davantage chez Haendel ou Vivaldi. Le soprano l’aborde trop uniment à gorge déployée, quand elle gagnerait à subtiliser son propos. En revanche, une alliance idéale de robustesse et de finesse caractérise le jeu d’Il Pomo d’oro, réduit pour l’occasion à une formation chambriste. Sous la conduite du claveciniste Francesco Corti, la phalange italienne nous livre une de ses meilleures prestations au disque. Le pied nous démange dans le ballo de Merula innervé par un formidable élan rythmique et les instruments nous donnent l’impression de chanter dans une canzon de Marini à la fois solidement architecturée et traversée par un souffle lyrique irrésistible. Pour un peu, les plages instrumentales nous laisseraient sur notre faim.