Sous ce nouvel habillage, le Don Giovanni de l’édition 2009 du festival de Macerata tentera-t-il davantage le chaland ? Déjà commercialisée en DVD au début de cette décennie, cette captation a connu plusieurs avatars avant de revenir sous l’étiquette C Major. Vu sur place – non pas sur le gigantesque plateau du Sferisterio, mais dans le petit théâtre Lauro Rossi, ce spectacle avait séduit notre collègue Jean-Marcel Humbert, mais la vidéo semble agir sur ses défauts comme une loupe grossissante.
Sur une scène assez minuscule, Pier Luigi Pizzi est heureusement contraint de renoncer à ses tics habituels : point de décor écrasant ou fastueux, mais quelques murs en miroir, des panneaux qui s’ouvrent et se ferment pour ménager parfois un espace plus intime, et surtout un plancher surélevé sous lequel on peut se cacher et voir sans être vu. Unique accessoire récurrent, un lit en partie défait, meuble évocateur de l’activité du héros, et qui ne servira pas seulement de théâtre à ses exploits, puisqu’à peu près tous les personnages s’y allongent à un moment ou à un autre. C’est d’ailleurs là que le bât blesse : dans ce XVIIIe siècle extrêmement galant, dans cette atmosphère de sensualité permanente où l’on se touche, s’étreint ou se culbute sans entraves, Don Giovanni risque fort de devenir un homme comme les autres. Et si le sexe est omniprésent, si Elvire se vautre sur ce lit et voit avec plaisir Leporello l’y rejoindre pour l’air du Catalogue, quelle différence entre la constance vertueuse et la bagatelle rigolarde ? Finalement, on se tripote beaucoup, mais en tout bien tout honneur : même le maître et son valet s’empoignent allègrement, mais dès qu’un geste pourrait menacer leur virilité conquérante, bas les pattes, pas de ça entre nous.
La distribution présente l’intérêt d’être très largement italienne, d’où une certaine authenticité des récitatifs. Seuls deux grands rôles échoient à des artistes non originaires de la péninsule. Superbe d’allure dans ses robes et ses chapeaux sortis d’un Gainsborough ou d’un Boilly, Myrtò Papatanasiu est une Donna Anna à qui la douceur de « Non mi dir » convient mieux que la fureur d’ « Or sai chi l’onore », car l’aigu forte a tendance à vite devenir strident ; la diction pourrait être plus claire, et le chant gagnerait à être aussi dramatique que le jeu scénique. Ténor étasunien dont la carrière se déroule principalement en Europe, Marlin Miller prête à Don Ottavio un timbre percutant, mais point dénué de nasalités, et sans parvenir à conférer au personnage la poésie ou la masculinité qui lui donnerait plus d’épaisseur.
En Don Giovanni, Ildebrando d’Arcangelo impose une présence physique immédiate, mais on cherche en vain le grand seigneur. Le chant est un peu brut de décoffrage, le trait est épais, alors que l’on voudrait une séduction plus raffinée, plus insidieuse. C’est d’autant plus frappant que le Leporello fort bien chantant d’Andrea Concetti est, lui, en panne de truculence dans son interprétation : aurait-il fallu inverser les rôles au-delà de la scène de travestissement sous le balcon d’Elvire ? Carmela Remigio (dont le nom devient « Remigioi » sur le boîtier du DVD) possède de solides atouts, mais l’on regrette qu’emportée par la véhémence de son incarnation, elle brutalise son organe, notamment dans un « Mi tradì » désagréablement haché.
Après la splendide Zerlina qu’elle avait été à l’été 2009, on pouvait s’attendre à ce que Manuela Bisceglie perce rapidement ; cela n’a hélas pas été le cas, et la suite de sa carrière n’a pas tenu les promesses de ses débuts. Son Masetto, William Corrò, se révèle tout à fait à la hauteur, tandis que le Commandeur d’Enrico Iori remplit son contrat dans un rôle brévissime.
Finalement, c’est sur la direction de Riccardo Frizza que l’intérêt se concentre, car elle offre ces raffinements dont la distribution est un peu avare. Par des silences, par de subtils effets de ralentis (par exemple, dans l’air de Masetto, au début de « Faccia il nostro cavaliere »), par des accents inhabituels, elle retient l’attention alors que le spectacle cesse bientôt de le faire, dès que l’on en a saisi les grandes lignes et l’absence de travail de détail.