Organisé à la mémoire de Dmitri Aleksandrovitch Hvorostovski, le concert objet de la présente captation est un hommage musical de Yuri Temirkanov au baryton russe emporté à l’âge de 55 ans par une tumeur au cerveau. Pour mener à bien son projet, le chef d’orchestre a rassemblé dans la splendide salle de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, le Chœur du Théâtre du Bolchoï, la soprano Dinara Alieva, la mezzo-soprano Olesya Petrova, le ténor Francesco Meli, la basse Dmitri Belosselskiy et son orchestre de toujours : le Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Et quoi de mieux pour honorer la mémoire d’un grand chanteur d’opéra que de donner le Requiem de Verdi, une œuvre qu’Hans Von Bülow qualifiait avec dédain d’« opéra en robe d’ecclésiastique » ?
En choisissant comme couverture du DVD (et du livret) un gros plan des mains de Dieu et d’Adam de la Création de Michel-Ange, Yuri Temirkanov souligne la dimension spirituelle de son hommage. Le générique du DVD poursuit dans cette voie : le baryton ayant quitté la terre des mortels, c’est à ce ciel nuageux cachant un soleil au coucher que les artistes s’adressent. Cette invitation au recueillement est accentuée par la voix cristalline de la soprano Dinara Alieva accompagnée par le chœur du Théâtre du Bolchoï.
Si on peut s’interroger sur l’intérêt d’une captation vidéo pour un spectacle sans mise en scène, elle permet dans le cas présent de scruter les moindres expressions des artistes, et de constater notamment l’aisance et la simplicité avec laquelle Yuri Temirkanov donne le départ de cette œuvre monumentale. Au silence de rigueur d’un début de concert répond la mystérieuse mélodie des violoncelles, bientôt rejoints par les violons, puis par les voix à peine audibles du chœur. Le public, où qu’il soit, est saisi.
Dès le Dies Irae, la qualité de préparation du chœur par Valery Borisov est évidente. Certes, la diction laisse malheureusement à désirer, mais la grande palette de nuances des choristes allant du chuchotement (« Quantus tremor ») au fortissimo effrayant (« Dies irae, dies illa »), ainsi que la précision de leurs attaques, notamment dans les entrées fuguées du Sanctus, donnent du relief à cette version du Requiem.
A l’instar des chanteurs, les musiciens de Yuri Temirkanov dévoilent eux aussi rapidement leur grande maîtrise technique. Si on peut déplorer le tempo galopant du Dies Irae qui, de fait, tend à masquer tous les détails et les subtilités de l’écriture de Verdi, on ne peut qu’être impressionné par la vitesse à laquelle les cordes effectuent leur descente vers les graves, mais aussi l’intensité sonore qui émane de la masse orchestrale. Cette puissance sonore, si elle couvre parfois le chœur, fascine d’autant plus qu’elle est patiemment et intelligemment menée par le chef d’orchestre tout au long de l’œuvre.
Des quatre solistes, c’est le ténor Francesco Meli qui entonne le premier le Kyrie. Si sa voix de poitrine peut paraître parfois quelque peu poussive, on ne peut qu’être séduit par la délicatesse de sa voix de tête dans les passages pianissimo (comme lors de son duo avec le hautbois dans le Dies Irae « Inter oves locum praesta »).
A l’inverse, c’est la puissance de Dmitri Beloselski que l’on retient. Son premier solo « Mors stupebit et natura » (Dies Irae) contient la dualité de son interprétation : l’expressivité (tant de son visage que de sa voix), mais aussi son sens du silence (notamment quand il répète « Mors ») révèlent sa grande maîtrise scénique et théâtrale et lui permettent également de pallier le manque de variété de ses attaques et de ses nuances.
Pour ce qui est de Dinara Alieva (dont le timbre n’est pas sans rappeler celui de La Callas), elle enchaîne avec une facilité déconcertante ses interventions dans les aigus (voire les suraigus) de sa voix (Offertoire). Jusqu’à son Libera Me, la soprano semble davantage concevoir ses interventions comme une couleur supplémentaire à l’orchestre de Yuri Temirkanov, plutôt qu’une véritable partie vocale. En revanche, elle livre dans la dernière partie du Requiem, une interprétation riche en contrastes. Accompagnée uniquement du chœur, elle conclue ce Requiem avec grâce.
Mais de tous, c’est Olesya Petrova qui nous livre l’interprétation la plus aboutie. Comme ses compagnons, son vibrato est large, sa voix puissante, sa technique sûre, mais c’est sa grande maîtrise du souffle (Lux Aeternam), son écoute attentive de ses partenaires (« Quid sum miser tunc dicturus », Dies Irae) et surtout son impressionnante palette de nuances qui lui permettent d’insuffler à cette version du Requiem de Verdi une véritable profondeur dramatique et spirituelle.
Si on ne devait retenir qu’un seul adjectif pour qualifier la version de Yuri Temirkanov, ce serait celui de la « puissance ». Puissance d’autant plus appréciable, qu’elle est enrichie de très beaux passages en duo et en trio des quatre solistes. Véritables moments de communion, ces ensembles intimistes, donnent un supplément d’âme à cette version qui, sans eux, aurait pu être lassante.