Au tout début du XXe siècle, le Rondeau des Vignes de Madame Favart était encore assez connu pour figurer dans un « Album Musica » consacré à Offenbach, aux côtés de la Lettre de la Périchole ou de la Barcarolle des Contes d’Hoffmann. En 1939, ce même air, « Ma mère aux vignes m’envoyit [sic] », fut encore jugé assez populaire pour qu’Yvonne Printemps le chante dans le film La Valse de Paris, où Pierre Fresnay lui donnait la réplique dans le rôle du compositeur. Après la guerre, on donna encore l’œuvre deux fois à la Radio : en 1953 (c’est la version que réédite aujoud’hui Malibran) et en 1960 avec notamment Suzanne Lafaye et Camille Maurane. On en vit même une représentation à la télévision française en 1957, préservée par l’INA. Impossible donc de conclure à l’oubli radical : cela pourrait-il s’expliquer, comme pour La Fille du tambour-major, par la présence d’un élément militaro-patriotique (le troisième acte se déroule sur le champ de bataille de Fontenoy, victoire française remportée en 1745) ?
Avec cette œuvre de 1878, on retrouve la bonne humeur souriante qui caractérise la plupart des œuvres d’Offenbach d’après la guerre franco-prussienne, sans rien – hélas pour notre époque friande de sarcasme – de l’ironie mordante de ses chefs-d’œuvre créés sous le Second Empire. Il faut pour la porter une interprète de premier plan. Justement, Juliette Simon-Gérard, après avoir créé à 19 ans le rôle de Justine Favart (elle venait de créer Serpolette des Cloches de Corneville l’année précédente), devait enchaîner l’année suivante avec la susdite Fille du tambour-major. A son époux, le ténor Simon-Max, était dévolu le rôle du jeune premier, Hector de Boispréau, un peu moins exigeant sur le plan théâtral. Celle qu’on appelle ici Madame Favart, actrice forcément hors pair, aurait selon le livret succédé à Adrienne Lecouvreur dans le cœur de Maurice de Saxe, avec cette différence qu’elle aurait, elle, repoussé ses avances.
Autant dire que le rôle-titre de Madame Favart ne saurait être confié qu’à une interprète des plus soides, possédant idéalement cette aura scénique qu’on imagine avoir été celle d’une Hortense Schneider. Même si son nom est sans doute bien oublié de la jeune génération, Fanély Revoil (1906-1999) fut de celles-là. Créatrice du rôle de Lucine dans Le Testament de la tante Caroline de Roussel, à l’affiche ces jours-ci au Théâtre de l’Athénée, elle se consacra presque exclusivement à l’opérette et à l’opéra-comique. Elle fut notamment Nicklausse dans l’intégrale des Contes d’Hoffmann dirigée en 1948 par André Cluytens. Et comme chacun de ses enregistrements permet de le vérifier, Fanély Revoil était une « nature », un tempérament né pour le théâtre. Son interprétation du fameux Rondeau susmentionné ferait passer Yvonne Printemps pour une timide débutante, en comparaison. Tous ses airs et toutes ses interventions dans les dialogues parlés sont autant de leçons d’interprétation. Dommage simplement que la qualité sonore de cette diffusion radio ne soit pas toujours aussi limpide qu’on le souhaiterait.
Autour de l’héroïne, la RTF avait réuni du très beau linge, familier de ce style. On ne présente plus Michel Dens, aussi à l’aise dans le grand répertoire d’opéra que dans les œuvres plus frivoles. Son Favart a toutes les qualités requises, qu’il déploie dans les charmantes pages qu’Offenbach offre au personnage. Liliane Berton fut la plus délicieuse des sopranos légers de son temps, qui ne chercha jamais à s’aventurer au-delà des emplois que son organe lui destinait : elle est naturellement exquise en Suzanne. René Lenoty n’était probablement pas le plus suave des ténors de l’après-guerre, mais cette tessiture est toujours un peu le parent pauvre de ces concerts d’opérette, et il faut s’estimer heureux d’échapper à l’inévitable Joseph Peyron, Hector de la version de 1960. Et on ne saurait oublier les seconds rôles, campés par des personnalités hautes en couleur : on salue l’excellent René Hérent, inénarrable en marquis de Pontsablé, tout comme il excellait en Guillot de Morfontaine dans la Manon enregistrée en 1955 par Victoria de Los Angeles (il tenait le rôle Salle Favart depuis 1918 !). Gilbert Moryn a moins à chanter mais est un Cotignac savoureux.
En complément de programme, un hommage supplémentaire à Fanély Revoil, à travers une quinzaine d’airs, d’opérette surtout, avec des tubes (deux extraits de La Périchole), mais avec surtout des titres que l’on aimerait voir revenir sur les scènes, comme Le Cœur et la main de Lecoq, La Petite Fonctionnaire de Messager, Fragonard de Pierné ou Virginie Déjazet de Georges Van Paris.