Xerse de Cavalli à Lille en 2015, Le Ballet royal de la Nuit à Caen en 2017, La finta pazza de Sacrati à Dijon en février dernier… Autant de spectacles qui ont fait parler d’eux ces dernières saisons, et dont nul n’aurait osé rêver il y a trente ans, quand le seul fait de programmer un opéra de Lully relevait de la plus extrême audace. Grâce à toutes ces résurrections, les débuts de l’art lyrique en France ne se résument plus seulement à une série de titres oubliés, mais ont pu reprendre vie de la manière la plus éloquente qui soit. Ecrire une histoire du premier siècle d’existence de l’Académie royale de musique, c’est donc d’abord mettre un peu d’ordre dans les esprits en nous rappelant comment ces œuvres représentées en France ont, historiquement, précédé la naissance de l’opéra en français.
Il faut en effet distinguer entre « opéra en France » et « opéra en français », car longtemps les Italiens eurent, assez logiquement, la mainmise sur le genre qu’ils avaient créé. Il n’est donc pas étonnant que les rapports entre France et Italie aient été choisi comme fil conducteur de l’exposition présentée par la BnF et l’Opéra de Paris pour célébrer le 350e anniversaire de la seconde institution. Si l’on fête les lettres patentes du 28 juin 1669, par lesquelles Louis XIV autorisait la création d’un établissement imitant l’exemple italien donné par « ces académies dans lesquelles il se fait des représentations en musique », le premier opéra en français date de 1659, avec la Pastorale d’Issy, musique de Cambert, livret de Perrin. C’est d’ailleurs un poète – le fameux Perrin – et non un compositeur qui bénéficie des susdites lettres patentes, et qui avait dressé une longue liste des défauts italiens qu’il conviendrait d’éviter pour instaurer l’opéra français. On s’étonne d’ailleurs que nul n’ait encore tenté de nous faire entendre les opéras de Cambert, son Ariane et Bacchus ou sa Pomone, résultats de ce « processus d’hybridation » par lequel notre pays s’efforça de concevoir, sur des vers français, des œuvres musicales ressemblant à ce qui se créait de l’autre côté des Alpes. Evidemment, le monopole de Perrin, fortement concurrencé par la Musique du Roi, fut de très courte durée et Lully, cet Italien devenu Français, s’empressa de supplanter son rival. Cambert, dépité, s’en ira fonder à Londres la Royal Academy of Music en 1674.
Voilà ce que raconte, entre autres choses, le catalogue somptueusement illustré qui accompagne l’exposition commémorative. Rédigé par une dizaine de spécialistes, il s’attarde également sur certains aspects plus particuliers, comme l’orchestre ou le corps de ballet, l’art du décor ou celui du costume (on notera que ce dernier domaine est le seul qui échappa toujours à l’influence italienne, la supériorité de la France ayant de longue date été reconnue en matière de mode et de vêtement).
D’autres questions sont d’autant plus pertinentes qu’elles sont au cœur des choix de programmation d’une institution comme le Centre de musique baroque de Versailles. Nous connaissons aujourd’hui mieux ces parodies d’opéra qui proliféraient aux XVIIe et XVIIIe siècles, grâce aux spectacles de marionnettes qui ont été récemment présentés avec succès, la désormais omniprésente Platée constituant « le paradigme de ce premier âge d’or de la parodie d’opéra ». La question des révisions d’opéras « anciens » est elle aussi un point sur lequel nous en avons beaucoup appris ces dernières années, avec le Persée de 1770 ou l’Armide de 1776, ces réécritures de tragédies en musique de Lully commandées par la direction de l’Opéra de Paris. Relire l’histoire de l’Académie royale à travers les controverses esthétiques, c’est aussi un bon moyen d’éclairer les relations entre France et Italie, l’histoire de l’art lyrique dans notre pays étant une succession de périodes où l’opéra italien fut tantôt porté aux nues, tantôt voué aux gémonies, adoré par les uns, haï par les autres.
Cette première exposition (une seconde est prévue, consacrée au XIXe siècle) se termine sur une succession de secousses, musicales ou non : la « révoltion gluckiste », qui « fait s’écrouler comme un château de cartes le répertoire entier de l’Opéra de Paris », l’incendie de 1781, et la Révolution tout court, lors de laquelle il fut heureusement décider de conserver un établissement qui attirait à Paris toutes sortes de riches touristes et générait de nombreux emplois…
Un unique reproche à adresser à ce magnifique ouvrage : les doubles pages consacrées à tel ou tel élément de détail (« Sommeils français et italiens dans la tragédie en musique lullyste », « La querelle des pantomimes : un autre débat franco-italien », etc.) sont imprimées en gris moyen sur gris clair ou puce, ce qui n’est vraiment pas très lisible.