L’affaire n’est pas jolie-jolie, mais comme elle remonte à il y a plus d’un siècle, il sera difficile de traîner le coupable devant les tribunaux. Thérèse Maquet (1858-1891) était la fille négociant parisien habitant rue de la Paix, à laquelle Massenet donna des cours de piano vers 1870. Elle écrivait des poèmes qu’elle refusait de publier malgré les encouragements de Sully-Prudhomme. Quelques années avant sa mort, elle autorisa néanmoins son ancien professeur à mettre en musique quelques-uns de ses textes. Jusque-là, tout va bien. Mais ce que révèle Jean-Christophe Branger dans son édition de Quatre Mélodies oubliées du compositeur, parue chez Symétrie, c’est que Massenet ne paya pas toujours sa dette, et qu’il se servit aussi des vers de Thérèse Maquet sans en reconnaître la paternité. « Les larmes qu’on ne pleure pas retombent toutes / Et de leurs patientes gouttes / Martèlent le coeur triste et las. / Sa résistance enfin s’épuise, / Le coeur se creuse et s’affaiblit ; / Il est trop grand, rien ne l’emplit, / Et trop fragile, tout le brise » : oui, c’est le texte du célébrissime air des Larmes dans Werther, dont le livret est signé Paul Milliet, Edouard Blau et Georges Hartmann. Sauf que ce texte n’est pas du tout de ces messieurs, ni même de l’un des trois, puisque Massenet, mécontent de leur production, eut l’idée d’injecter dans sa partition deux mélodies déjà composées (l’autre étant l’air du rire, chanté par Sophie), toutes deux sur des poèmes de Thérèse Maquet, dont le nom ne fut évidemment jamais mentionné en relation avec Werther, qui reste l’un de ses plus grands succès à l’heure actuelle. Massenet, chantre de la femme ? Pas si sûr…
Jules Massenet, Quatre Mélodies oubliées (« Idéal », « Fleurs sacrées », « Dernier Sommeil », « Mélancolie »). Edition scientifique : Jean-Christophe Branger. Partition pour voix et piano, 24 pages, 15 euros. Edition Symétrie, ISMN 979-0-218-0888-9. Ces quatre mélodies seront interprétées le 28 novembre à l’ENS de Lyon par une étudiante du CNSM de Lyon.