Face aux monuments de pompe funèbre que sont les Requiems de Verdi ou de Berlioz, les Stabat de Dvorak et de Pergolèse ou les Grandes Messes Funèbres et Solennelles qui jalonnent l’histoire de la musique, on comprend volontiers que quelques compositeurs aient éprouvé un certain vertige à s’emparer des textes les plus dramatiques de la liturgie. C’est sans doute pour cela que Fauré fit l’impasse sur le « Dies irae » dans son Requiem, et que Szymanowski composa un modèle d’épure en guise de Stabat Mater. Sans nécessairement connaître le second, Poulenc et Desenclos se souvinrent certainement du premier lorsqu’ils s’attelèrent à la composition de leur deux partitions présentées sur le dernier enregistrement d’Hervé Niquet.
On nous rappelle dans le livret que le Stabat Mater de Poulenc est la réponse à une crise de spiritualité éprouvée par le compositeur après la perte d’un être cher. On croit volontiers à la détresse dans laquelle il devait se situer, mais cette proposition de Stabat n’en est pas moins ambigüe. Le « Quis est homo » est bel et bien flamboyant, mais « Quae moerebat » ou le « Eja Mater » baignent dans une insouciance toute caractéristique du moine voyou qu’était Poulenc. Chez Desenclos, la révolte est elle aussi de velours. Tout comme Fauré, il se prive de « Dies irae », car son but n’est pas de marquer les esprits à coups de cymbales et de septièmes diminuées. Tout comme Duruflé, il se souvient du chant grégorien tel qu’enseigné à l’Ecole Niedermeyer, et propose une version avec orgue seul pour cette messe des morts toute en douceur. Il y a un brin d’agitation dans le « Libera me », mais l’ensemble de l’œuvre frappe surtout par sa modestie. Pour autant, Desenclos ne se prive pas d’un travail poussé sur l’harmonie. Alors que l’usage de nombreux parallélismes harmonique justifie une partie de l’étiquette « archaïque » qu’on a pu lui apposer, certains virages ne sont pas bien loin du premier Messiaen ou même de Poulenc (voir le « Requiem aeternam » ou le « Sanctus »).
Hervé Niquet explique avoir souhaité se rapprocher du parler à l’époque de Poulenc ou de Desenclos (les deux étant peu ou prou contemporains). Il s’agit d’une voix « plus haute, sur-projetée, trop forte, avec trop d’harmoniques », selon les mots du chef d’orchestre. Toutes proportions gardées, cette intention est bien communiquée au Vlaams Radiokoor, qui séduit par un son droit, pur, jamais dans le style vaporeux des chœurs autrichiens ou allemands. Cette technique de chant s’avère particulièrement efficace dans le registre grave, où les voix ont naturellement tendance à disparaître derrière l’orchestre.
Ces caractéristiques, on les retrouve au Brussels Philharmonic, dont le relief des solistes de la petite harmonie sied parfaitement au compositeur.
On regrette que Marion Tassou n’ait pas su profiter de cet ensemble. Son timbre nous semble nettement plus terne que lorsque nous l’écoutions dans Hiérophanie quelques mois plus tôt, et ses rares interventions dans la partition ne sont encore qu’en demi-teintes.
Reste le toucher de velours de l’organiste François Saint-Yves, qui enveloppe le Requiem de Desenclos d’un drapé chaleureux, convenant tout à fait à la douce révolte exprimée par l’œuvre.