Clôture probable des festivités de son 350e anniversaire, la deuxième exposition organisée par l’Opéra national de Paris avec la BnF n’a pas convaincu Christophe Rizoud. Hélas, le catalogue qui l’accompagne ne permettra pas vraiment de modifier ce verdict. Autant le premier volet des commémorations, sur la période 1669-1789, avait trouvé le ton juste pour évoquer cette première période faste, autant le volume consacré au « grand opéra à la française » déçoit.
Le projet était noble, mais y croyait-on vraiment en haut lieu ? Il est permis d’en douter à la lecture de la préface signée Stéphane Lissner, qui affirme tout de go : « On peut préférer l’opéra romantique français à Richard Wagner, mais on ne peut nier que son influence sur l’évolution de notre musique nationale, symphonique comme lyrique, est mineure, contrairement à celle du maître allemand ». Et d’invoquer le vague espoir d’une « évolution esthétique et sociale » qui remettrait le genre en vogue : apparemment, cette tâche incombe à qui l’on voudra, mais pas à l’Opéra de Paris, dont les quelques efforts en la matière n’ont pas été très concluants. Voilà qui ne commence déjà pas très bien.
On s’interroge aussi sur les limites chronologiques définies pour l’opération. Si l’on reconnaît volontiers que La Muette de Portici peut être considéré comme l’acte de naissance du genre, on aurait pu se pencher davantage sur ses ancêtres directs, mentionnés ici assez rapidement, ce qui aurait par ailleurs permis de faire le lien avec l’exposition précédente. Médée (1797) et Les Abencérages (1813) de Cherubini, ou les premiers opéras français de Rossini, auraient pu se voir consacrer un peu plus de place. Mais c’est surtout à l’autre bout du parcours que l’on s’étonne : dire que le grand opéra à la française meurt en 1867 avec Don Carlos, c’est peut-être vrai pour l’Opéra de Paris, mais enterrer le genre alors même que Bruxelles reprend le flambeau, c’est aller un peu vite en besogne. Et Henry VIII de Saint-Saëns aurait mérité un traitement plus approfondi : souhaitons que l’année 2021, marquant le centenaire de sa mort, soit propice à une meilleure mise en avant des œuvres de ce compositeur.
Pour le reste, on retrouve dans ce volume la plupart des défauts qu’on peut reprocher aux recueils et autres actes de colloque, c’est-à-dire essentiellement une certaine hétérogénéité dans le propos comme dans l’intérêt des diverses contributions. Dix-sept auteurs pour vingt et un chapitres parfois très brefs, était-ce bien raisonnable ? Difficile de proposer ainsi un tout cohérent. A côté de textes passionnants, d’autres, en revanche, peinent à retenir l’attention et frôlent le hors-sujet.
L’article consacré à Meyerbeer évite de parler de ses opéras pour se focaliser sur la personnalité du compositeur. L’article sur Gounod expédie très vite les œuvres qui relèvent réellement du genre grand opéra pour se focaliser sur Faust et Roméo et Juliette, certes représentés sur le tard à l’Opéra de Paris, mais quel rapport avec la question ? Heureusement, d’autres contributeurs semblent davantage croire en leur sujet. Olivier Bara souligne les qualités musicales des livrets de Scribe, qu’il considère comme l’inventeur du tragique moderne, et n’hésite pas à parler de « révolution scribienne ». Romain Feist, également coordinateur du volume, remet les pendules à l’heure à propos des messieurs du Jockey Club, dont l’influence excessive « a surtout été dénoncée par Richard Wagner, dépité après la chute, en 1861, de la version française de son Tannhäuser ». Se penchant sur les enjeux politiques des livrets, Hervé Robert souligne que le grand opéra à la française fut pour Louis-Philippe le moyen d’exercer un soft power avant l’heure. Le franc-parler de Hugh MacDonald est assez rafraîchissant, lorsqu’il dit sans ambages que « Berlioz au fond n’est pas un compositeur d’opéra », ses deux plus grandes réussites en matière de musique vocale – Roméo et Juliette et La Damnation de Faust – n’étant pas destinées à la scène. Et pour un genre français auquel ont tant contribué un Allemand et quelques Italiens, il était très judicieux d’étudier la dimension internationale du phénomène, comme le fait Sabine Henze-Döhring. Evoquer les « perspectives contemporaines » sur le grand opéra était une bonne idée, mais l’on regrette qu’un parti pris étroit oblige Marion Mirande (qui partage avec Romain Feist la direction scientifique de l’ouvrage) à n’envisager que les productions de Bastille, quand tant d’autres spectacles montés ailleurs ont, eux, réellement revitalisé le genre ces dernières années.
Il a sans doute aussi manqué une relecture plus attentive pour éliminer quelques scories. Parler de « seize grands opéras » et en énumérer quatorze, c’est un peu étrange (page 25). Fanny Elssler, Fenella lors de la reprise de La Muette en 1837, est rebaptisée « Elsner » (page 35). Quant à écrire, à propos de La Vestale : « Comme pour Médée, dix ans plus tôt, c’est Etienne de Jouy qui en signe le livret » (page 16), c’est priver François-Benoît Hoffman de son plus beau titre de gloire, celui d’avoir écrit le texte du chef-d’œuvre de Cherubini.