En 1635, Louis Phélypeaux de La Vrillière décida de doter son hôtel particulier de ce qui se faisait de mieux en matière de luxe architectural et commanda donc à François Mansart une galerie tout aussi fastueuse que celle du palais Farnèse (décorée par les Carrache entre 1597 et 1607), mais deux fois plus longue. Pour en peindre le plafond, il fit appel à un certain François Perrier, collaborateur de Simon Vouet. Et pour en orner les murs, il y fait accrocher une dizaine de toiles commandées aux meilleurs artistes italiens, la dernière étant livrée en 1665. De cette première galerie, il ne reste… pas grand-chose, on va le voir. En 1713, Louis-Alexandre de Bourbon rachète l’hôtel et décide d’en redécorer la galerie dans le goût de son temps, d’où la présence de boiseries. Après la Révolution, tout l’édifice connut un déclin quasi irrémédiable. En 1865, on décida de sauver ce qui pouvait l’être, mais pour cela le bâtiment fut d’abord détruit ; si les boiseries furent démontées et restaurées, le plafond fut remplacé par une copie, l’original disparaissant à tout jamais. Quant aux douze grandes toiles, elles furent dispersées entre différents musées de France, des copies s’y substituant. La « galerie dorée » de l’hôtel de La Vrillière témoigne donc aujourd’hui surtout de l’art de la restauration au XIXe siècle, raison pour laquelle elle n’est pas classée l’inventaire des monuments historiques.
Qu’à cela ne tienne, l’endroit n’en est pas moins magnifique et désormais associé à Gérard Depardieu-Marin Marais dirigeant la marche des Turcs de Lully dans Tous les matins du monde. Le 19 juin 2018 on en fêta le tricentenaire, du moins cela de son aspect actuel, avec ses miroirs et ses boiseries plus proches de la Galerie des Glaces que du palais Farnèse. Le label BelAir Classiques publie à présent la captation du « concert du tricentenaire » conçu par Julien Chauvin en partie à base de « tubes » baroques, et de manière à refléter le programme iconographique du lieu.
A noter que ce film ajoute au concert filmé en public plusieurs séquences tournées sur les mêmes lieux, mais en l’absence d’auditeurs, ce qui permet aux éclairagistes de varier les effets et à la caméra de s’approcher plus près des instrumentistes. Cela nous vaut aussi, en complément de la très riche iconographie reproduite dans ce livre-disque, de belles images en gros plan des peintures du plafond, des sculptures qui décorent les dessus de portes, et même des quatre statues « à la manière de » représentant les quatre continents et ajoutées en 1872. Ainsi se justifie la présence d’un extrait du Quatuor n° 1 de Félicien David, composé en 1868, dans un programme dont tous les autres ingrédients datent d’entre 1670 et 1785.
Les formes musicales y couvrent une large gamme, depuis les solos instrumentaux (transcription pour luth d’une composition de Marin Marais pour viole de gambe, Couperin et Rameau au clavecin, une improvisation au violoncelle) aux symphonies et concertos pour flûte et orchestre en passant par les quatuors.
Et bien sûr, il y a aussi une voix, et quelle voix, puisque c’est à Jodie Devos qu’il a été fait appel. En dehors de quelques incursions chez Rameau (un Pygmalion et 2017, et la fameuse production des Indes galantes à l’Opéra de Paris en septembre dernier), le répertoire de la soprano belge se situait néanmoins surtout dans une période commençant avec Mozart et allant jusqu’à Poulenc. L’un des intérêts de ce concert était donc de découvrir de quoi cette Lakmé, cette Reine de la Nuit pouvait nous offrir chez Haendel, dont elle aborde ici trois airs. On retrouve bien sûr le charme du timbre et l’agilité irréprochable de la voix de Jodie Devos, mais du fait des circonstances même du concert, où la soprano n’intervenait que très ponctuellement, et de la nouveauté de ce territoire pour l’interprète qui commence à l’explorer, il faut reconnaître qu’on reste un peu sur sa faim en termes d’incarnation. Difficile ainsi d’être vraiment Cléopâtre, ou du moins d’imprimer à « Da tempeste » toute la vigueur qu’on en attend ; même « Un pensiero nemico di pace », dont une Cecilia Bartoli livrait jadis une version survoltée, semble ici bien sage. Plus adapté paraît alors l’extrait du Stabat Mater de Boccherini, dont la musique met bien davantage en valeur l’image « resplendissante » de la Vierge que l’invitation à pleurer la mort du Christ. De belles promesses, donc, qui donnent à espérer que Jodie Devos se voie bientôt offrir l’occasion de chanter Haendel sur scène.