Depuis quelques années, Capriccio repropose son fond de catalogue sous un format allégé : livret d’accompagnement réduit à l’essentiel, une douzaine de pages avec présentation de l’œuvre et résumé de l’intrigue, en allemand et en anglais. Cette remise en avant concerne plus spécifiquement l’opéra germanique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. En 2013, Schreker était à l’honneur, avec la réédition de deux enregistrements réalisés en 1989 et 1990, Der Schatzgräber et Der ferne Klang, ainsi que Franz Schmidt et son opéra Notre-Dame, capté avec Gwyneth Jones en 1988. Dans la même mouvance, Zemlinsky n’avait pas été oublié, et Der Kreidekreis avait également profité de l’opération. Cette année, Der Traumgörge du même Zemlinsky est réédité (compte rendu à venir), en même temps qu’un ouvrage plus ancien, Ekkehard de Johann Joseph Abert. Un autre boîtier réunit deux opéras de Busoni dont on s’étonne même qu’ils aient pu être mis sur le marché séparément, puisqu’ils avaient été conçus pour être créés le même soir : Turandot, sortie en janvier 1993, et Arlecchino, en janvier 1994.
Sur des sujets italiens, empruntés l’un à Carlo Gozzi, l’autre à la commedia dell’arte, ces deux opéras en un acte ont bénéficié de quelques autres versions discographiques : une Turandot dirigée par Otto Ackerman, et le couplage présenté dans les années 1990 par l’Opéra de Lyon, la distribution dirigée au disque par Kent Nagano différant sensiblement de celle vue en scène. Dans ces deux œuvres inclassables, on entend aussi bien une musique italianisante que des échos de Richard Strauss, et même un étonnant réemploi de la mélodie élisabéthaine Greensleeves au début du deuxième acte de Turandot ! On y trouve aussi une dose certaine de dialogue parlé (pour Arlecchino, Capriccio avait même fait appel à des comédiens pour dire le texte d’Arlequin et de Colombine). Créée en mai 1917, la Turandot de Busoni a évidemment été reléguée dans l’ombre par celle de Puccini. La gestation en fut longue, puisque les premières esquisses de musique de scène pour la pièce de Gozzi remontent vraisemblablement à 1905 ; c’est seulement lorsqu’il eut achevé son Arlecchino en 1916 qu’il songea à fabriquer un complément de programme à partir de tous les fragments donnés en 1911 quand Max Reinhardt monta Turandot à Berlin.
Dans ces deux enregistrements en majeure partie réalisés en janvier 1992, on retrouve assez logiquement des interprètes communs : d’abord René Pape, somptueux Altoum (dont le rôle est bien plus développé que chez Puccini), puis le cocu Matteo dans Arlecchino, et le ténor Robert Wörle, qui se contente du petit rôle de Truffaldino dans Turandot mais campe avec toute la truculence voulue le rôle-titre de l’autre acte.
Linda Plech prête à la version germanique de la princesse de glace une voix ample mais idéalement tranchante, compte tenu du personnage. Etrangement absent de la couverture du disque, Joseph Protschka est pourtant un vaillant Kalaf ; certes, le prince inconnu est un peu moins au centre de l’action qu’il ne l’est dans le livret d’Adami et Simoni. Katharina Koschny est une Colombine aux agréables couleurs sombres.
Le chœur, non employé dans Arlecchino, est au contraire très sollicité dans Turandot, et le RIAS Kammerchor (oublié dans le livret d’accompagnement) livre une superbe prestation. Les qualités du Radio-Sinfonieorchester Berlin sont également mises en valeur par l’inclusion, en complément de programme, du Rondo arlecchinesco de 1917, très straussien scherzo pour orchestre où une voix de ténor intervient in extremis. Ce coffret nous rappelle enfin combien Gerd Albrecht, disparu en 2014, fut un pionnier dans la redécouverte de tout ce répertoire qu’il sert admirablement, ce qui rend d’autant plus regrettable la relative rareté de ces œuvres sur nos scènes (sauf erreur, les dernières représentations françaises de la Turandot de Busoni remontent à 2011, à Dijon).