À Dresde, le 24 d’août 1749.
Mademoiselle Agnesi. Votre lettre du 18 juin m’est exactement parvenüe avec les pièces de musique qui y étaient jointes. Le bon goût y règne, et l’Art y est d’autant plus admirable, qu’il exprime parfaitement le sens naturel des paroles. Tout y est nouveau, et ne peut manquer de plaire aux amateurs de la musique.
Comme c’est là une partie de mes amusements, Je vous laisse juger la satisfaction, que J’ai eüe en faisant exécuter vos compositions.
Excellente initiative que d’enregistrer une bonne partie du recueil d’arie con stromenti envoyé par Maria Teresa Agnesi à Marie-Antoinette de Bavière. Les deux femmes partageaient la même chance : leur statut social élevé leur avait permis d’accéder à l’éducation musicale et, au-delà de la maîtrise du chant et du jeu, d’aller jusqu’à présenter leurs propres compositions. Maria Teresa Agnesi Pignottini, fille de notables milanais, avait alors presque 29 ans mais déjà une quinzaine d’années d’expérience musicale qui lui valait une certaine renommée. Elle était notamment l’autrice d’une vaste cantate destinée au gouverneur de Milan, d’une collection d’airs envoyée à l’impératrice Marie-Thérèse et d’une Sofonisba dont elle avait signé livret et musique (d’autres opéras suivront dans la suite de sa carrière). Parfaitement versée dans l’art musical, la princesse de Bavière allait elle aussi signer le livret et la musique de ses opéras Il Trionfo della fedeltà et Talestri. Pourtant, ce même statut empêchait l’une et l’autre d’imaginer autre chose qu’une production de dilettante : on imagine alors l’importance du don d’Agnesi et la sincérité de la réponse de la princesse reproduite ci-dessus.
Il convient de remercier la mezzo-soprano vénitienne Elena De Simone d’avoir pris l’initiative d’exhumer ces œuvres qui révèlent, en effet, une jolie plume. La compositrice a pris soin de varier les affects et les styles, en affrontant même des classiques du répertoire métastasien comme le délire de Fulvia dans Ezio (Ah non son io che parlo) ou la déclaration de Megacle dans L’Olimpiade (Lo seguitai felice). Certes, d’autres ont pu mieux traduire le désarroi d’Erissena (Son confusa pastorella) et l’inspiration tourne parfois un peu en rond passé le charme de certains motifs – l’interprétation joue –, mais le lancinant « Non so, con dolce moto » affirme un certain talent mélodique, tout comme la tendresse touchante de Megacle. On aime aussi les jolies tournures et effets syncopés de « Non dirmi crudele ».
En somme de la belle musique, que l’on aurait voulu découvrir dans de meilleures conditions pour mieux en goûter les qualités. Certes, l’ensemble Il Mosaico est de bonne tenue, dans une optique de salon, avec six musiciens. Toutefois son jeu semble parfois bridé pour ne pas mettre en danger la soliste (allegro timide de « Scherza il pastor »), et une baguette aurait imprimé plus de caractère et de variété à l’ensemble, en restituant par exemple toute la densité pathétique qu’appelle « Afflitta e misera ». Ce n’est pas qu’Elena De Simone manque de caractère, pourtant : son chant a de la personnalité. Si elle se déclare spécialisée dans le répertoire baroque, on peut dire qu’elle chante un peu tout dans des théâtres de second plan : Suzuki et La Cenerentola, Frugola d’Il Tabarro et Nicklausse, Carmen et L’Italiana in Algeri… Comme dans un précédent récital Tactus consacré à Hasse, l’ambitieuse touche à toutes les tessitures. Agnesi écrit généralement dans un registre central, mais déroule tout de même la voix sur deux octaves (du si au si) dans « Ah non son io che parlo », et plonge dans l’extrême grave dans d’autres. Plus que la bravoure torrentielle, les airs requièrent une virtuosité de manière. Dans ce contexte exigeant, il faut reconnaître qu’Elena De Simone chante toutes les notes avec une relative probité. D’où vient la frustration à l’écoute ?
Tout d’abord d’une émission inégale. On dirait parfois que l’Italienne « marque » plus qu’elle ne chante. La palette de couleurs est plutôt disparate, avec des graves tantôt grossis, tantôt sourds et quelques stridences dans l’aigu. La déclamation manque souvent de fermeté, la ligne est mal soutenue. Bref, malgré une vocalisation en place, ce n’est pas vraiment le belcanto exigé. Inexplicable enfin, la quasi-absence de variation des reprises n’est pas une marque de déférence envers l’autrice, mais une hérésie historique, musicale et dramatique qui condamne à l’ennui des airs dont le plus court dépasse les six minutes, et le plus long onze minutes. En dépit de ces réserves, on invite les curieux à écouter cet intéressant disque par extraits, d’autant que qu’Elena De Simone inspire la sympathie malgré les idiosyncrasies du chant – au point que l’appréciation de l’album sera beaucoup affaire de goût.
Si le rendez-vous nous paraît ici manqué, on saluera avant tout la réhabilitation de l’œuvre d’Agnesi. Qui d’autre se lancera ?