Anniversaire oblige, les Liedersänger de toutes les nations se sont employé à redorer le blason de Beethoven dans le genre vocal. A l’exception de Fidelio et de la Neuvième (déjà célèbres pour leurs quelques maladresses vocales), on connaît peu la production lyrique du grand sourd. Le dernier album de Ian Bostridge permet à ce titre de découvrir quelques raretés.
Dans un album monographique de ce genre, il fallait inévitablement inclure An die ferne Geliebte, que l’histoire de la musique retiendra (peut-être à tort) comme le premier cycle de lieder. Les textes bucoliques d’Aloys Jeitteles ne sont peut-être pas un sommet de poésie germanophone, mais ils offrent à Beethoven tant la possibilité du contraste que la cohérence formelle. Le cycle est unifié par d’habiles transitions (fait qui, même au XIXe, restera rare dans le genre), et par un retour du thème initial à la fin de l’ouvrage qui ne manque pas d’intérêt dramaturgique.
Le duo formé par Ian Bostridge et Antonio Pappano est celui de deux complices musicaux ayant déjà beaucoup enregistré ensemble. La communication entre les deux artistes est manifeste, surtout dans un cycle où elle est si importante. La lecture prend le parti du classicisme finissant, et peut-être que les prémisses de romantisme des n° 3 et surtout du n° 6 auraient gagné à être soulignées.
On ne présente plus le musicien averti qu’est Ian Bostridge, ni sa discographie qui fait déjà autorité dans une large part du répertoire. On est pourtant forcé de constaté que ses moyens vocaux sont déjà sérieusement entamés. Le registre aigu a perdu de sa clarté, et ses graves barytonnés à outrance ne trompent personne. Le constat est encore plus criant dans Adelaide, peut-être l’une des plus belles pages du compositeur, et en tout cas une des rares qui soit réellement vocale. Le chanteur se réfugie dans ce qu’il fait de mieux : la musique et le texte. Tout est compréhensible et compris, et les partis pris musicaux sont toujours pertinents (sans pour autant faire l’unanimité).
Autre grand cycle, plus hétéroclite, les Folk Songs sont défendus par un native speaker qui sait en déceler toute la gouaille populaire. La forme strophique ne sied pas spécialement à un compositeur qui s’est fait un nom dans le développement, mais le jeu racé des guests stars que sont Vilde Frang et Nicolas Altstaedt renouvelle tout de même l’écoute.
En complément, on trouve de nombreux pages, dont le caractère oscille entre l’humour (Marmotte, « Flohlied » du Faust de Goethe) et le sérieux (Ich denke dein, ou le très étrange In questa tomba oscura), entre la belle trouvaille (Ich liebe dich) et le dispensable (les quatre versions de Sehnsucht, où seule la dernière possède un véritable intérêt).
S’il ne contentera peut-être pas les amateurs de grandes voix, cet album trouvera certainement un écho favorable chez les beethovéniens dans l’âme. On y présente le monstre sacré sous son jour le plus intime, parfois même le plus anodin : tout ne se vaut pas, mais tout vaut au moins le détour.