Après Steve Reich (Différentes phases, 2016) et Philip Glass (Paroles sans musique, 2017), les Editions de la Philharmonie ajoutent Kurt Weill (1900-1950) à leurs « [Ecrits de compositeurs] ». Comme le nom de la collection l’indique, le musicologue Pascal Huynh a compilé en un seul volume différents propos – entretiens, essais critiques, biographiques… – afin de mieux appréhender la personnalité du compositeur d’origine allemande, que le philosophe et musicologue Theodor W. Adorno préférait qualifier de « metteur en scène de musique ».
Des cabarets berlinois aux music-halls newyorkais, de L’Opéra de quat’sous en 1928 à Lost in the Stars (1949), l’itinéraire de Kurt Weill est balisé de nombreuses partitions, essentiellement vocales. Les textes ici réunis ont pour la plupart déjà été publiés en 1993 aux Editions Plume sous le même titre – De Berlin à Broadway –, publication elle-même précédée de plusieurs ouvrages en langue allemande procédant d’une démarche similaire. A ce corpus initial s’ajoute une quarantaine de documents – vingt-six allemands, quatorze issus de la période américaine et un entretien daté de 1933, peu de temps avant la création à Paris des Sept Péchés capitaux – destinés « autant aux chercheurs qu’aux acteurs de la vie musicale et théâtrale ». Mais pas seulement.
A travers les différents sujets abordés, du général – « Le théâtre musical du présent » – au particulier – La grande Duchesse de Gerolstein –, ce recueil reprend les grandes questions posées par le 20e siècle sur l’opéra, genre alors en phase de muséification auquel Weill désirait apporter un nouveau souffle. « Nous devons accomplir notre idéal formel sur la scène, nous devons être persuadés que l’œuvre scénique peut reproduire les éléments essentiels de notre musique, nous devons croire sans réserve à l’opéra » écrit en 1926 celui qui, la même année, tente de tourner la page wagnérienne avec une première œuvre lyrique, Der Protagonist.
Vingt ans plus tard, après avoir fui la barbarie nazie et trouvé refuge aux Etats-Unis, Weill continue d’évoquer un concept de théâtre musical populaire organisé autour de trois constituants – musique, drame et mouvement –, « où les textes parlés et chantés sont tellement unis que le chant intervient tout naturellement au moment où l’émotion du mot parlé atteint le point où la musique doit prendre le relais ». Street Scene, dont la version définitive est créée en 1947 à Broadway, veut réaliser cet impossible fantasme : réconcilier au sein du genre les deux sœurs ennemies que sont parole et musique et, en même temps, procéder à la fusion des formes d’expression musicale, « du song populaire à l’aria d’opéra et aux ensembles, musique d’ambiance et musique dramatique, musique d’un amour nouveau, musique de passion et de mort… ». Bref poursuivre l’inlassable quête du compositeur d’opéra à la recherche d’une forme artistique idéale. Preuve, s’il était encore nécessaire, de l’identité d’un musicien encore trop méconnu (Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny a attendu 1995 pour faire son entrée à l’Opéra de Paris et la création française de Street Scene date de 2010).
Photographies, illustrations et repères biographiques complètent en fin de volume cette remarquable anthologie.