Intitulé Meins Lebens Licht [Lumière de ma vie], emprunté au chœur central, le programme est cohérent, varié (cantate, motet, ode funèbre), centré sur les devoirs de l’homme et son passage à la vie éternelle.
« Es ist dir gesagt, Mensch, was gut ist » [Il t’est dit, homme, ce qui est bien], la cantate BWV 45 est à vertu moralisatrice, comme son incipit le laisse supposer. Le chœur d’ouverture, de proportions imposantes, fondé sur un motif unique, y sera traité de façon concertante et fuguée, dans une architecture claire, ponctuée par les ritournelles instrumentales. Chacun des trois solistes (pas de soprano) y aura son air ou son arioso. Le continuo du premier récitatif (comme celui de l’ultime) surprend, réduisant les tenues à des ponctuations. L’air de ténor, de caractère dansant, est fort bien conduit. L’arioso de basse qui ouvre la seconde partie retient particulièrement l’attention : sur un accompagnement animé, la voix du Christ, avec une expression passionnée, tendue, répond à ceux qui se croient ses obligés : « Eloignez-vous de moi, iniques ! ». Peter Kooij est dans son élément, sa voix agile, longue, bien timbrée, est toujours un modèle. L’alto, dont la voix dialogue avec le traverso, contraste par sa douceur avec l’aria qui précède. Un court récitatif conduit au choral final.
C’est la seconde version (BWV 118 b) du motet funèbre O Jesu Christ, mein’s Lebens Licht que nous offre le Collegium Vocale. Le cornet et les trombones de la première y sont remplacés par les cordes, avec ajout de deux hautbois (une taille) et d’un basson aux cors. Laquelle choisir ? La plénitude, la rondeur de la seconde à la relative âpreté de la première ? Le tempo est soutenu (2 mn de moins que la première gravure de Gardiner), une sorte de sérénité résignée gouverne l’ensemble. Le chœur, par deux fois, puisque la reprise est jouée, déroule sa belle polyphonie. Cependant, le cantus firmus se mêle indistinctement aux autres parties, et les vents, très homogènes, sont réduits ici à un rôle secondaire, décoratif.
Familier de cette ode funèbre « Lass, Fürstin, lass noch einen Strahl », Philippe Herreweghe l’a beaucoup donnée. Il a souhaité la renouveler, pour son propre label. On pourra lui préférer son premier enregistrement, avec sa Chapelle royale, publié chez Harmonia Mundi France (1988), dont les tempi sont plus retenus, les timbres instrumentaux plus clairs. Le chœur qui ouvre cette superbe oeuvre est ici résolu, ne présumant guère de la destination de l’œuvre. La prise de son, globale semble-t-il, dans un cadre quelque peu réverbéré, enveloppe et fond les timbres instrumentaux, d’autant que le chef fait le choix de l’orgue au continuo, alors que Bach avait – délibérément – privilégié le clavecin, qu’il tenait lors de l’office où cette ode avait été donnée. Ainsi souffrira-t-on de cette fusion des couleurs dans le récitatif « Der Glocken bebendes Getön… » [le son tremblant des cloches] l’ample aria d’alto, où les violes, les luths et le continuo forment un ensemble homogène, peu différencié. Evidemment, le chœur est superbe, dans ses trois interventions. Celui qui clôt la première partie « An dir, du Fürbild grosser Frauen… » [C’est en toi, modèle des femmes admirables…] surprend par sa relative retenue. Le dernier est empreint d’une joie sereine. Philippe Herreweghe obtient de beaux modelés, une articulation et un soutien remarquables. Aucun des quatre solistes ne démérite. La clarté d’émission de Dorothee Mields sied parfaitement à son injonction « Verstummt ! ihr holden Saiten » [taisez-vous, cordes aimables]. Alex Potter, qui chante la partie d’alto, confirme son talent. Le récitatif arioso puis l’aria suivante sont un modèle de conduite. Thomas Hobbs donne toute la dimension contemplative à son aria avant que Peter Kooij chante son récitatif secco, puis arioso, avec l’expérience qu’on lui connaît.
La réalisation se situe à un excellent niveau – pouvait-on imaginer moins de la part de Philippe Herreweghe et de ses amis ? – mais déçoit quelque peu par une restitution dont la clarté et les couleurs laissent à désirer.
La brochure d’accompagnement, quadrilingue, présente succinctement les œuvres et publie les textes chantés comme leur traduction.