De la Marche du premier Consul, composée par Paisiello en 1802 ou 1803, à Sainte-Hélène, il y a mis en chansons, le destin fracassant et fracassé d’un des plus grands hommes que l’Histoire ait jamais porté en son sein : Napoléon Bonaparte, né le 15 août 1769, mort le 5 mai 1821, militaire, homme d’État et premier empereur des Français. Que les sigisbées de la Cancel Culture veuillent aujourd’hui déboulonner sa statue n’entache ni son génie, ni sa gloire. Les chansonniers entreprirent de conter son épopée mémorable avant même que la dernière phrase ne fût écrite. C’est ce répertoire historique qu’explore dans un nouvel album Arnaud Marzorati, baryton passionné de littérature dont l’ensemble Les Lunaisiens veut « faire chanter la mémoire » à travers le patrimoine populaire de la chanson française.
En un parcours qui se veut narratif, de la fanfare liminaire au « roc solitaire » de l’exil, une vingtaine de chansons retrace l’aventure napoléonienne. Odyssée non dénuée d’emphase, ni de partisanisme. Il s’agit le plus souvent d’exalter l’homme autant que le général qui « partait avec les soldats et mangeait leurs pommes de terre ». La légende, tel le diamant, ne souffre pas de crapaud même si la chanson peut se faire pamphlétaire. La Campagne de Russie moque un « un p’tit homme qu’on appelait le grand » et le ton ironique des Mérites de Bonaparte tient lieu de règlement de compte royaliste alors que grondent déjà les canons de Waterloo.
Fredonne-t-on sous la douche ces mélodies d’un autre temps ? Pas forcément, leur intérêt est moins musical qu’historique. C’est pourquoi Arnaud Marzorati dans un souci de reconstitution minutieuse a privilégié les instruments d’époque, tels ces trompettes et cors naturels dans lesquelles soufflent à plein poumons Les Cuivres Romantiques, tel cet orgue de barbarie de 1895 ou ce piano à queue Erard chargé d’évoquer, loin des fracas des combats ou des cris de la rue, l’élégance des salons. Il revient alors à Sabine Devieilhe de reprendre le cours du récit de sa voix de porcelaine. Le propos se teinte de sentiments non dénués de mièvrerie, qu’il s’agisse des Adieux d’une Mère à son Fils parti à la guerre ou du Tombeau de Joséphine, « cette bonne impératrice » auprès de laquelle « l’orpheline oubliait toute douleur ».
Aux ténor (David Ghilardi), baryton (Igor Bouin) et basse (Geoffroy Buffière) d’accompagner Napoléon sur le champ de bataille, à Marengo, aux portes de Moscou sur l’air de La Caravane du Caire de Grétry et jusqu’à « la roche Tarpéienne » de Sainte-Hélène où, rejoints par la soprano, ils chantent une dernière fois son nom, en une entreprise de déification qui laisse songeur. Quel homme d’état aujourd’hui susciterait une telle ferveur ?