Contemporain d’Arcangelo Corelli, diplomate, sans doute espion avant d’être coiffé symboliquement de la mitre épiscopale (in partibus infidelium, à Spigia, petite ville d’Anatolie, libre et impériale), puis chargé par le pape de la recatholisation des régions du Nord, gagnées par la Réforme, Agostino Steffani connut une vie particulièrement active. Musicien avant tout, il était connu des curieux de musique baroque, puisque le plus important des compositeurs italiens entre Carissimi et Alessandro Scarlatti. Sa notoriété fit un bond lorsque Cecilia Bartoli lui consacra deux enregistrements en 2013, Mission (avec le film et le DVD réalisé par Olivier Simonnet), suivi de Stabat mater. De Venise, il voyagea beaucoup, en Italie, mais aussi dans toute l’Europe, formé à Munich, servant les plus illustres souverains, jouant ainsi du clavecin pour Louis XIV. Imprégnée des influences germanique et française, sa musique atteint une dimension proprement européenne. 17 opéras nous sont parvenus, des œuvres sacrées, nombre de duos vocaux, son influence fut considérable, au point d’être élu président de ce qui deviendra l’Academy of Ancient Music de Londres.
L’anthologie qui nous est offerte offre un raccourci pertinent de son œuvre lyrique : 9 extraits de ses opéras, entrelardés de deux sonates en trio (de Brescianello et de Schenck) permettent d’apprécier les nombreuses facettes de son écriture. Leur caractère commun ? Une illustration extrêmement attentive au texte, deux phrases consécutives exprimant deux sentiments différents connaîtront des musiques différenciées. Les arias empruntent souvent aux rythmiques de danses. La ligne vocale, le plus souvent syllabique, réserve les traits virtuoses aux passages paroxystiques. L’écriture instrumentale séduit autant que le chant. L’Ensemble Castor, que nous découvrons à cette occasion, se montre aussi coloré et virtuose que ses confrères italiens ou français.
Le langage imagé des livrets (le frère du compositeur, Ventura Terzago, signe celui de Servio Tullio) se prête idéalement à sa traduction lyrique. Signalons que Onde chiare n’a de commun que ces deux premiers mots avec les airs qu’ont signé ensuite Vivaldi et Alessandro Scarlatti. Niobe, Regina di Tebe (1688) a fait l’objet de trois enregistrements, avec respectivement Philippe Jaroussky et Véronique Gens pour ce qui est des plus récents. De caractère mélancolique, rêveur, Dal mio petto, l’extrait que nous en propose le CD, ajoute à ces interprétations une lecture inspirée. Bien qu’illustrant Rossini, Debussy ou Křenek avec de grands chefs, Gardiner tout particulièrement, Silvia Frigato est familière du répertoire baroque et connaît déjà une belle carrière. Elle se montre ici sous son jour le plus séduisant. La voix sait se faire piquante, légère et agile (« Guardati, o core ») comme sombre, dramatique (« La cerasta più terribile », « Spiriti del Tartaro », que chante une Médée aussi agitée que résolue), avec toujours une conduite exemplaire, un soutien admirable (« Padre, s’è colpa in lui »). La virtuosité, jamais démonstrative, participe naturellement à l’expression dramatique.
Quant aux deux sonates en trio, pratiquement contemporaines, elles s’accordent fort bien au propos, témoignant également de la synthèse entre les courants italien et germanique du baroque. Un enregistrement ravissant qui parle à chacun.
Outre la biographie succincte du compositeur, avec ses principales étapes germaniques (München, Hannover, Düsseldorf), le livret nous propose les textes chantés, avec leur seule traduction en allemand, alors que la présentation y ajoutait l’anglais.