Au cœur d’un XXe siècle pétri de querelles de chapelles, il était risqué de se frayer un chemin comme compositeur vocal. On tirait volontiers sur l’opéra, sur la musique chorale, et sur la voix (lyrique) en général, n’y voyant que reliques d’un XIXe bourgeois dont il était bon de faire table rase. Le courage de Berio aura probablement été d’être resté fidèle à la voix humaine, et plus encore au chant.
L’enregistrement des Cris de Paris consacré à sa production vocale embrasse la plupart des facettes du Berio lyrique, de la pierre fondatrice qu’est la Sequenza III jusqu’aux pastiches des Beatles.
Guest star de cet enregistrement, Lucile Richardot a les épaules pour marcher sur les pas de Cathy Berberian. En témoigne cette stupéfiante Sequenza III, où la chanteuse française se plaît à nous montrer l’étendue de ces moyens vocaux et expressifs. Si la musique vocale contemporaine pouvait être servie tous les jours ainsi, le monde serait certainement plus en paix.
Certes, Richardot n’est pas non plus Berberian : alors que la seconde est assurément mezzo, la première penche davantage vers le contralto (qu’elle nous pardonne si ce n’est pas le cas). Aussi, quelques passages des Folk Songs la retranchent malgré elle dans une tessiture moins confortable (« Ballo », « Lo fiolaire » et même « Loosin Yelav »). A l’inverse, le timbre moiré de sa voix se prête idéalement aux pages les plus chaleureuses, telles que « Motettu di tristura » et « Alla femminisca ». Geoffroy Jourdain mêne l’ensemble instrumental de main de maître, révélant la savoureuse synthèse entre tradition et exploration qui caractérise Berio.
Moins connus mais tout aussi savoureux, les Cries of London rendent hommage aux barbershop choirs pour lequels Berio s’était pris d’affection (la pièce est écrite pour les Swingle Singers). Dans un kaléidoscope urbain, le chant se mêle tout naturellement au cri, à la parole et aux murmures. Entre Jannequin et Berio, la boucle et bouclée puisque les Cris de Paris ne pouvaient pas passer à côté d’une pièce aussi proche de leur ADN musical. Ici encore, précision et justesse d’intonation sont à saluer, mais la prestation va bien au-delà : c’est un festival de chant sous toutes ses formes que l’on nous donne à entendre (vivement les Canticum novissimi testamenti) !
Quelques pages plus rares complètent habilement cet enregistrement. Un arrangement de Michele, puisque Berberian se faisait une joie d’inclure cette musique dans ses récitals, mais aussi E si fussi pisci, ravissante chanson d’amour sicilienne qui conclut malicieusement ce bel enregistrement.