Le réveillon de Noël 1734, un incendie dévaste l’Alcázar royal de Madrid, réduisant en cendres toutes les archives musicales de la chapelle royale. C’est à Francesco Corselli, maestro de música de la cour arrivé l’année précédente, qu’il revient alors de reconstituer tout un corpus liturgique.
Près de trois cents ans plus tard, Javier Ulises Illán a pris sur lui d’explorer ce répertoire important de la culture musicale madrilène. Ce n’est pas la première fois que le chef s’intéresse à la musique baroque en Espagne, notamment avec le contre-ténor Filippo Mineccia, qu’il accompagne en outre efficacement dans plusieurs disques.
C’est ici Maria Espada, native de l’Estramadure, qui se charge de ressusciter la musique de son pays. Il émane une délicate lumière de son soprano au timbre plaisant, dont l’aigu n’est toutefois pas assez affirmé. L’émission est plutôt droite, et la technique suffisante pour servir un belcanto décliné en délicats mélismes, trilles et phrases longuement déroulées. Malgré une louable attention au texte, il faut avouer que la palette expressive et les couleurs ne soutiennent pas constamment certaines pages. Ainsi des Lamentations de Corselli qui ouvrent le disque, dont le dolorisme tendre et égal suscite la monotonie, en dépit d’une belle partie de violoncelle obligé. De même, le Salve regina de 1761 ne nous aura pas vraiment accroché, et souffre de la retenue de la soprano.
Les cantates sont évidemment plus dramatiques : joli villancico, cantate en langue profane traditionnellement interprétée à Noël (« Pastores que habitáis » de 1743), qui manque toutefois de pur brillant et de joie. Le style est en phase avec l’art lyrique du temps, comme l’autre cantate « ¡Oh qué pena! » (1749). La belle aria « Ea afectos caminad » a comme un parfum de Porpora, et l’allègre « Estruendos sonorosos » vient apporter une respiration légère au programme, même si un peu plus d’extraversion du côté des interprètes n’aurait pas été de refus, là encore. Rien à redire du côté des solistes de l’orchestre : Rodrigo Gutiérrez au hautbois pour la première aria, Ricard Casañ à la trompette pour la seconde.
La qualité de Nereydas dans son ensemble se confirme dans deux pages instrumentales signées Corselli et Domenico Porretti, premier violoncelliste de la cour. Un peu platement exécutée, l’ouverture composée par ce dernier ne nous donne pas particulièrement envie d’en découvrir davantage, mais le concertino à quatre de Corselli exalte une pâte chaude et boisée.
Le disque se referme sur d’autres Lamentations signées d’un illustre inconnu, élève de Corselli, l’Espagnol José Lindón (1748-1827). Agréable découverte, dont le style bien postérieur au reste du programme correspond au vocabulaire des années 1790, encore trop méconnues. On songe au jeune Mayr ou aux chefs-d’œuvre sérieux de Cimarosa et Zingarelli qui faisaient alors florès : le geste se fait plus ample, déclamatoire et moins décoratif, l’atmosphère s’assombrit, avec une mobilité expressive qui anime efficacement les différentes sections. Un beau pathétique sentimental et théâtral qui, pour le coup, excite l’oreille.
En mars 2020, les répétitions en cours au Teatro Real pour l’Achille in Sciro de Corselli (Madrid 1744) ont été interrompues par la progression d’un certain virus. Le spectacle a été reporté : espérons y retrouver Francesca Aspromonte et Franco Fagioli, qui devraient nous aider à mieux évaluer la musique du compositeur.