Forum Opéra

Le blackface, un faux problème ?

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Actualité
18 octobre 2021
Le blackface, un faux problème ?

Infos sur l’œuvre

Détails

En septembre 2015, échaudé par la rumeur autour de l’affiche d’Otello où l’interprète du rôle-titre, Aleksandrs Antonenko, exhibait une mine trop halée pour être naturelle, le Met décidait de cesser définitivement de grimer le général maure dans le chef-d’œuvre de Verdi. La question du blackface, jusqu’alors circonscrite à d’autres sphères, faisait irruption dans le monde de l’opéra.

Si le terme ne dispose pas à ce jour d’équivalent dans la langue française, c’est que la pratique est née au Etats-Unis. Au 19e siècle, lors de spectacles appelés « minstrel shows », des acteurs blancs peinturlurés au cirage s’amusaient à caricaturer des esclaves noirs présentés comme ignorants et stupides. Ainsi est né le personnage de Jim Crow, qui donnera son nom aux lois ségrégationnistes. « Separate but equal » (séparés mais égaux) : faut-il rappeler la doctrine nauséabonde exhibée comme un postulat derrière lequel s’abrita jusqu’en 1964 la discrimination raciale outre-Atlantique ?

Ce passé infâme suffirait à disqualifier à tout jamais le procédé si la question à l’opéra s’avérait moins simple qu’il n’y paraît. Noircir le visage d’Otello sur une scène lyrique n’a en effet d’autres intentions que de se conformer aux ressorts de l’intrigue – le racisme est une des clés du comportement de Iago (et plus encore chez Rossini, d’Elmiro et de Rodrigo). Il n’y a aucune volonté discriminatoire ou caricaturale derrière le geste.

Puis l’opéra, art de l’artifice s’il en est, possède parmi ses fondamentaux le costume et le maquillage. L’âge, la couleur de peau, le genre même des interprètes importent peu. Il faut dans certains ouvrages des femmes pour des rôles masculins (et inversement). Qu’importe la maturité d’une artiste, et son tour de taille, si elle doit interpréter une jouvencelle et, on a envie d’ajouter, qu’importe l’ethnie de l’esclave éthiopienne ou de la geisha, du moment que par leur chant, elles nous transportent au septième ciel. Seule devrait compter la conformité de la voix à la partition.

Certes, rétorquent les opposants au blackface, mais pourquoi maquiller Otello lorsque le rôle est confié à un interprète blanc alors que, dans une situation inverse, l’on ne juge pas nécessaire de blanchir la peau des chanteurs noirs ? Parce que l’histoire l’impose ? C’est un peu court (jeune homme). Intervient ici ce que les anglo-saxons appellent « color blindness », une aptitude occidentale à ne pas tenir compte des différences de couleurs de peau, sauf lorsqu’il s’agit de personnages d’une autre origine ethnique. La solution idéale serait alors d’exiger des chanteurs une adéquation totale à leur rôle. Ne confier Otello, Aida ou Butterfly qu’à un artiste de couleur. Encore faut-il disposer d’interprètes capables de répondre à cette condition supplémentaire lorsque l’on sait les difficultés déjà posées par la distribution de ces rôles, indépendamment de toutes considérations raciales.

La requête semble moins utopique s’agissant d’Annina dans La traviata. Dans la mise en scène de Benoît Jacquot à la Bastille, la servante de Violetta avait le visage noirci afin d’accentuer le parallèle entre la courtisane verdienne et l’Olympia de Manet – jeune femme blanche couchée sur un lit à laquelle une femme noire présente un bouquet de fleurs. Lors des premières représentations en 2014, le procédé n’avait suscité aucune émotion. Trois années plus tard, des voix s’élevèrent non sans raison : « N’y avait-il donc aucune chanteuse noire à qui confier le rôle ? ». Preuve que le sujet creuse peu à peu son sillon.

En octobre dernier, 400 salariés de l’Opéra national de Paris (sur 1800) ont signé un texte intitulé « De la question raciale à l’Opéra national de Paris », qui demande l’abolition du blackface « de manière officielle et définitive » sur la première scène nationale. Alexander Neef, a salué le « courage » du collectif et lancé dans la foulée une mission d’étude à la suite de laquelle l’institution a décidé « l’arrêt de la pratique très contestable du blackface et du maquillage des rôles stéréotypés sur l’ensemble des productions » – ce qui comprend aussi l’interdiction du yellowface et du brownface.  

« Si vous voulez rester partie prenante de la société, vous ne pouvez pas rester immobile et refuser d’évoluer », commente le directeur fraichement émoulu, qui touche peut-être là le cœur de ce que l’on aurait  tort de prendre pour un faux problème : l’opéra, genre artistique conçu à l’origine par des blancs pour des blancs, n’aurait-il pas oublié au fil du temps de prendre en compte les critères de diversité qui caractérisent aujourd’hui notre société ? 

 

Soutenez Forumopera.com dès 1 €


 

 

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Infos sur l’œuvre

Détails

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

This be her Verse, par Golda Schultz et Jonathan Ware

La parole aux femmes
CDSWAG

Le Bourgeois Gentilhomme

Un gentilhomme en fête
CDSWAG

Debussy La Damoiselle élue

Lignes claires
CDSWAG

Les dernières interviews

Stanislas de Barbeyrac : « Il y aura peut-être un jour Tristan, si je suis sage »

Interview

Questionnaire de Proust – Sophie Koch : « Christian Thielemann compte beaucoup pour moi »

Interview

Sophie Koch : « Aborder Isolde, c’est être devant l’Everest »

Interview

Les derniers dossiers

Questionnaire de Proust

Dossier

Les grands entretiens de Charles Sigel

Dossier

Philippe Boesmans (1936 – 2022)

Dossier

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Se réinventer ou mourir : l’opéra face à son destin

Actualité

Saison 2023-24 : les programmes

Les programmes 2023-24 des principales institutions lyriques de France, d’Europe et au-delà
Actualité

Stanislas de Barbeyrac : « Il y aura peut-être un jour Tristan, si je suis sage »

Interview

Questionnaire de Proust – Sophie Koch : « Christian Thielemann compte beaucoup pour moi »

Interview