Œuvre considérable que celle d’Ottorino Respighi. Des massifs en émergent, si souvent enregistrés, Fontaines de Rome, Pins de Rome, Fêtes romaines et quelques autres pages, miroirs moirés où se contemplent les grandes formations symphoniques. Le reste : déshérence. Opéras parfois captés, mais si peu ; pièces de ballet et œuvres symphoniques ponctuellement données, mais si rarement. Quant aux mélodies, Il Tramonto (1914) a été admirablement servi par Janet Baker et Anne Sofie von Otter, mais surtout par Sena Jurinac dans un de ses plus beaux témoignages. Respighi est un des noms engloutis avec cette immense Atlantide qu’est la musique italienne du premier vingtième siècle.
Saskia Giorgini avait récemment offert à Ian Bostridge dans La Belle meunière la magie noire de sa sonorité profonde et puissante, lui inspirant une intransigeance interprétative nouvelle. C’est elle, encore, qui pendant les mortes saisons du confinement a sorti d’une bibliothèque les mélodies de Respighi, composées entre 1905 et 1930. Petits cycles comme les Deità Silvane ou les Scottish Songs, ou bien mélodies isolées, cette production est toute infusée de symbolisme délicat mais vigoureux, dont on ne saurait attendre aucune italianité folklorique, mais tout au contraire une quintessenciation expressive reposant sur des textes eux-mêmes fort marqués par l’imaginaire symboliste – faunes, naïades, jardins, brumes et une petite touche de folklore censément détourné de sa ruralité terrienne par la sophistication musicale – où l’on croise Moréas, Samain, D’Annunzio. C’est là un compendium de cette culture variée et curieuse des artistes de la première moitié du Vingtième siècle, à la fois raffinés connaisseurs des lettres et des arts, et compositeurs ayant assimilé les détours nouveaux des écoles européennes (de Brahms à Martucci en passant par Rimsky-Korsakov)
Les « déités silvestres » présentent une nature rustique et artiste à la fois : c’est la nature antique vue à travers les bésicles d’un latiniste enjoué. On préfère ici la veine dépressive de « Notte » ou, mieux encore, de « Nebbie », et le halo fantastique qui entoure « La Statua », avec cette dentelle mystérieuse semblant mimer les maniérismes du poème d’annunziesque. C’est là qu’Ian Bostridge est le plus à sa place, avec cette voix désormais plus ombreuse apte à des sfumatures subtiles.
Il convient cependant d’avouer que notre plus grande fascination va vers Saskia Giorgini, dont la sonorité évoque à la fois le métal et le cristal, avec une sorte de concentration sombre – ni velouté ni complaisance ouatée, ici. Il est vrai que le discours pianistique est souvent, dans ces pièces, plus complexe et plus expressif que la partie vocale elle-même. Aussi a-t-elle tout loisir de faire valoir son art. Cette façon qu’elle a de camper les paysages et de tenir d’une main ferme le fil du récit, nous l’avions déjà perçue dans cette Belle meunière : ici, elle s’impose à chaque page, avec un magnétisme rare.