Nul ne peut ignorer la somme d’illustres enregistrements des Leçons de Ténèbres de Couperin avant de se lancer dans la publication d’une nouvelle version. Sébastien d’Hérin , Caroline Mutel et Karine Deshayes n’ont en réalité pas improvisé ce projet, et cela se sent d’emblée, puisque déjà en 2009, ils donnaient les Leçons à Versailles tous les trois. Cet enregistrement laisse ainsi entendre le tracé des années et la maturité de celles et ceux qui ont pris le temps de vivre avec cette œuvre.
Sébastien d’Hérin soupèse chaque nuance de la partition, explore toutes ses subtilités et fait des silences des moments de déplorations sacrées. Finalement, nous voilà instantanément replongés dans ce Paris spirituel de 1714, déjà préoccupé par la fin du règne du roi. Son soin du détail n’alourdit pas un instant l’œuvre, au contraire, car le tout est insufflé d’une forme de piété fort poétique, conférée par le fin doigté des Nouveaux caractères qui se prêtent à toutes les impressions voulues par le chef.
Les voix de Caroline Mutel et de Karine Deshayes sont d’une infinie sensibilité et incarnent à merveille le recueillement auquel ces Leçons de Ténèbres appellent. A la manœuvre dans la première leçon, Caroline Mutel confère à sa ligne de chant une délicate luminosité et d’irisées vocalises, en alliant à la fois sobriété et puissance, sans aucun maniérisme. De même, Karine Deshayes fait part de toute sa maîtrise du style baroque. Si l’on peut avoir en tête ses grands rôles d’autres répertoires plus lourd, elle nous bluffe à chaque instant de par le charme et la finesse d’une voix douce dont le vibrato est parfaitement ajusté au style. Ses vocalises de la deuxième leçon dans « Jerusalem Convertere », sont superbement restituées. Bien sûr, c’est l’alliance des deux voix qui retient notre attention, lors de la troisième leçon et le succès est total. Les deux voix résonnent parfaitement ensemble, s’enrichissent mutuellement et finalement, s’allument de reflets réciproques, particulièrement dans « Lamed ».
L’enregistrement propose d’habiles pauses instrumentales entre les Leçons, qui d’une part permettent de belles respirations avant d’entamer chaque leçon et qui d’autre part sont l’occasion de redécouvrir, notamment, deux morceaux de Louis Couperin : la Pavane en fa dièse et les Carillons de Paris. La viole de gambe de Martin Bauer se distingue particulièrement par ses ornement majestueusement travaillés.
Au total, cet enregistrement était nécessaire pour immortaliser le vécu de trois artistes, travaillé par de nombreuses années de fréquentation de l’œuvre, quant à ces sublimes Leçons dont ils nous offrent, quelque part, une magistrale leçon.