Elles nous l’avaient toutes deux annoncé lors de leur récital à l’Athénée le 14 février dernier. Voici donc le premier disque du duo Marie-Laure Garnier et Célia Oneto Bensaïd qui est le fruit d’une longue maturation musicale, d’une aventure commencée à deux il y a désormais plus d’une décennie. Cet album est un voyage entre deux continents, la chanteuse et la pianiste ayant choisi de faire dialoguer des mélodies de Poulenc et de Messiaen avec des negro-spirituals, une audacieuse transversalité sur laquelle le duo s’est d’ailleurs longuement exprimé. Un choix assumé et porté en synergie par amour d’un répertoire qu’elles avaient de longue date envie de défendre dans un seul et même programme.
Pour entrer pleinement dans cette proposition musicale, il faut comprendre les intentions des artistes, comment elles ont envisagé ce jeu de miroir entre le lumineux espoir porté par les mots des mélodies françaises et les sombres douleurs des incantations des esclaves d’Amérique. Singulier voyage s’il en est, mais néanmoins cohérent, tant les thématiques de ces œuvres du 20e se répondent dans de mêmes émotions. Ce détonnant et exigeant programme qui dans un récital oblige à un grand écart vocal, passe incontestablement beaucoup mieux au disque. La voix n’est pas soumise à la pression de la prestation en public notamment dans les épineux Poèmes de Mi de Messiaen, et l’auditeur a le temps de se familiariser avec cette mise en regard d’œuvres d’essence commune, mais d’inspirations diverses.
Dans les Spirituals, le duo d’artistes habite le répertoire avec passion et brio. Marie-Laure Garnier trouve ici un registre à la mesure de sa voix opulente et chaleureuse, avec des phrasés réellement sublimes. Portant tout à la fois la joie et la détresse, l’espoir et la douleur, elle épouse pleinement et viscéralement ces pièces qu’elle porte autant avec le cœur qu’avec la voix. Les spirituals permettent à la soprano d’exposer des moyens vocaux de grand lyrique imposants : par sa puissance, un grave mirifique, un timbre rond et chaud, elle saisit d’emblée l’auditeur par toute une palette d’infinies couleurs. Avec sa voix savoureuse, l’artiste séduit d’emblée par ses affinités assumées à une spiritualité incarnée. Le brillant de l’accompagnement pianistique de Celia Oneto Bensaïd contribue à magnifier l’interprétation. L’entente entre les deux artistes nourrit à l’évidence cet accord parfait entre la voix et le piano. Elles sont ici dans un répertoire de prédilection et cela s’entend.
Dans la mélodie française, et surtout celle de Poulenc, Marie-Laure Garnier cultive l’art consommé du dire grâce à une diction remarquable, soulignée par une phrase pianistique toujours ciselée et imagée de Célia Oneto Bensaïd. Sur le plan vocal, l’artiste trouve toujours le ton juste entre grand lyrique, voix chantée et parlée avec un timbre séduisant. Quant au Poèmes pour Mi de Messiaen, s’ils sont des œuvres complexes à écouter pour l’auditeur, ils présentent également d’épineuses difficultés pour les interprètes. Ils requièrent tout à la fois un grand format dramatique, du brillant et de l’agilité dans la vocalise, sans quoi « Actions de Grace » et « Prières exaucées » peuvent virer facilement au supplice pour l’auditeur. Au disque, Marie-Laure Garnier se sort bien mieux du piège des changements de rythme et surtout du passage sans transition amenant la voix du parlando au registre le plus haut, ce qui n’est guère aisé à faire quand l’instrument vocal est aussi imposant que le sien. On aurait toutefois souhaité entendre davantage de rondeur et de souplesse pour aborder un chemin aussi escarpé. En revanche, dans « Le collier », la parfaite connaissance du texte, sa diction limpide sont d’un bel effet.
Au piano, Célia Oneto Bensaïd s’affirme dans un jeu investi et nerveux, qui donne corps et âme à la musique. Elle est une instrumentiste à part entière qui lie les notes aux mots et leur donne ainsi une résonnance particulière. Les spirituals et les mélodies de Poulenc sont un terrain connu de longue date et cela s’entend dans l’aisance avec laquelle elle aborde chaque difficulté pianistique. Ainsi, l’instrument autant que la voix donne à voir un faisceau d’images qui suscite l’émotion musicale. Les deux artistes ont un évident plaisir à porter un programme qu’elles ont entièrement conçu.
Passé l’effet de surprise, ce disque a pour principale vertu de nous faire entrer pleinement dans une proposition artistique singulière, qui enthousiasmera certains éditeurs par son audace, qui en désarçonneront d’autres, mais la sincérité et le talent des interprètes emportent l’adhésion et nous fait au fil des écoutes aimer ce voyage en forme d’antidote aux afflictions du monde.