La paix intérieure, voici ce que Verdi, qui avait bien des choses à reprocher à un Dieu auquel il ne croyait qu’en maugréant, recherche dans ses fascinants Pezzi sacri, lesquels ne constituent pas – bien que ces quatre partitions soient devenues indissociables les unes des autres, même présentées dans un ordre différent de celui de leur composition – un cycle uniforme. Les pièces ont en effet été écrites entre 1888 et 1897, avec chacune sa propre histoire. Mais elles traduisent néanmoins un même profond intérêt pour l’héritage des grands polyphonistes, en particulier Palestrina, dont la figure tutélaire sur la musique de la péninsule avait toujours accompagné Verdi, et plus encore dans la seconde moitié de sa vie.
Début 1871, un collectif de professeurs du Conservatoire de Naples représentés par l’archiviste de ce dernier et ami de Verdi, Francesco Florimo, offraient au compositeur la direction de leur institution. Verdi, tout en écartant cette hypothèse, avait précisé dans sa réponse comment il concevait l’enseignement de la musique : « S’il en était autrement, vous pouvez imaginer combien je serais fier d’être élevé à ce poste qui fut autrefois occupé par les fondateurs de cette école, A. Scarlatti et ensuite Durante et Leo. J’aurais été honoré de guider les élèves dans les études sérieuses et austères, mais en même temps si claires, de ces premiers Maîtres. J’aurais aimé, pour ainsi dire, avoir un pied dans le passé et l’autre dans le présent et le futur (car la « musique du futur » ne me fait pas peur). J’aurais dit aux jeunes élèves : « Pratiquez la fugue constamment, avec ténacité, jusqu’à la satiété, jusqu’à ce que vos mains deviennent assez sûres et fermes pour plier les notes à votre volonté. (…) Etudiez Palestrina et quelques uns de ses contemporains. (…) J’espère que vous trouverez un homme qui sera, par dessus tout, érudit et sévère dans les études. La licence et les erreurs du contrepoint peuvent être permises et sont quelquefois belles au théâtre ; mais pas au Conservatoire. Retournons en arrière, ce sera un progrès. » Cette dernière phrase, restée célèbre sera comme un guide pour les dernières partitions du vieux Verdi, qui ne cessera plus d’étudier, après ses derniers triomphes au théâtre, les partitions de Palestrina, tout en expérimentant une « échelle énigmatique » aux harmonies inhabituelles et même « contre nature » dans son Ave Maria.
Gijs Leenaars est né à Nimègue, la plus ancienne cité des Pays-Bas et dont le nom est attaché aux traités de paix qui ont permis de mettre un terme aux six ans de la Guerre de Hollande, en 1678. Or, le jeune chef de chœur, qui dirige depuis 2015 le mythique chœur de la Radio de Berlin après avoir été chef principal de celui de la radio néerlandaise, délivre ce même message de paix intérieure, d’harmonie et de contemplation, dans ce nouveau disque consacré à plusieurs pièces pour chœurs a cappella. Outre les Quattro pezzi sacri de Verdi qui en sont le pivot, l’album, intelligemment bâti, affiche de courtes œuvres rares et précieuses qui délivrent les Pezzi de leur habituel voisinage avec le Requiem de Verdi : un Pater noster écrit par le compositeur à partir du texte de Dante à la fin des années 1870, le touchant O Salutaris Hostia du dernier Rossini, deux des huit Cori op. 2 d’Ermanno Wolf-Ferrari, une Ode au Divin Raphaël de Bossi (1920) et enfin le Requiem de Puccini, destiné à honorer la mémoire de Verdi quatre ans après la mort du maître. Ces dernières œuvres, toutes a cappella à l’exception du Requiem (pour orgue et alto) offrent par leur voisinage stylistique, ou à tout le moins leur proximité harmonique, comme un écrin de douceur recueillie aux quatre monuments verdiens.
Le chœur de la radio de Berlin, particulièrement bien capté lors des sessions enregistrées en août 2020, en offre une interprétation remarquable notamment par l’équilibre des différents pupitres et par une articulation rigoureuse qui permet notamment de rendre pleinement justice à l’écriture héritée des maîtres polyphonistes et à l’art du contrepoint de ces compositeurs de l’époque moderne, comme cela est particulièrement perceptible chez Bossi, grand organiste par ailleurs, ou encore dans les Pezzi sacri : écoutez par exemple l’introduction du Te Deum, fascinant. Pour ce dernier comme pour le Stabat mater, les interventions de l’orchestre symphonique allemand de Berlin ajoutent une certaine transparence, sans emphase malgré une grosse caisse très présente, aux accents tranchants du chœur, le tout bénéficiant d’une remarquable clarté. La voix gracile, presque fragile, de Gesine Nowakowski pour l’unique et brève intervention soliste à la fin du Te Deum, retenue et émouvante, ajoute encore à cette approche à la fois lumineuse et recueillie. Giljs Leenars choisit des tempi relativement rapide, notamment dans le Te Deum et sait produire de l’effet sans excès, dans les supplications comme dans les passages plus lyriques, qui parsèment ces différentes partitions, lesquelles ont pour point commun d’avoir été écrites par des hommes de théâtre, à l’exception de Marco Enrico Bossi.
Grâce à une réalisation soignée et délicate, la douceur des dernières partitions du disque nous offre de bout en bout cette paix dont on voudrait parer tous les c(h)œurs.