C’est une polémique qui fait suite à beaucoup d’autres depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine le 24 février dernier. On se souvient en effet des débats très vifs sur l’opportunité ou non de la présence d’artistes russes sur les scènes mondiales ou les injonctions faites à l’un ou l’autre d’entre eux de se positionner clairement au sujet de cette guerre, avec pour conséquence d’innombrables démissions, annulations ou déprogrammations.
En dehors des artistes eux-mêmes, on avait également assisté à des cas, plus isolés, de remise en cause de la programmation de pièces du répertoire russe dans les salles de concert ou les théâtres, comme par exemple Moussorgski ou Tchaikovski retirés de l’affiche à Varsovie, Zagreb, Cardiff ou Prague.
Cette semaine, c’est au tour du Teatro alla Scala d’être interpellé par le consul d’Ukraine à Milan, Andrii Kartysh. Dans une lettre adressée au surintendant de la Scala, Dominique Meyer, le diplomate regrette vivement la programmation, en ouverture de la saison scaligère le 7 décembre prochain, de Boris Godounov de Moussorgski. Tout comme il dénonce l’engagement pour cette production d’artistes russes au premier rang desquels la basse Ildar Abdrazakov dans le rôle-titre, qu’il a chanté partout dans le monde et qui passe pour l’un des meilleurs interprètes de ce dernier aujourd’hui, ou encore Anna Denisova, habituée du Théâtre Mariinsky. Il ajoute par ailleurs son regret de voir la musique russe ou des artistes trop souvent programmés pour cette nouvelle saison 2022-23.
En marge de la présentation à la presse de la production de Boris Godounov, Dominique Meyer a répondu à ces reproches, rappelant d’abord que la programmation a été arrêtée il y a trois ans, comme chacun le sait. « Lorsque le consul nous a demandé d’annuler il n’a pas été écouté car on est très loin de certaines réalités. Boris Godounov est un chef d’œuvre de l’histoire de l’opéra, et nous faisons la différence entre le gouvernement russe, le peuple russe et la culture russe » a-t-il notamment indiqué dans ses propos repris par France Musique. Quant au fond du sujet (le reproche de faire de la propagande pro-russe), le surintendant de la Scala enfonce le clou : « Les gens qui nous critiquent devraient lire le livret pour commencer, s’informer sur le contenu de cet opéra qui narre de manière assez abrupte le destin de ce tsar, qui a tué pour arriver au pouvoir et qui n’hésite pas à tuer pour continuer. C’est une parabole sur le destin des dictateurs, et sur le destin du peuple russe », avant de rappeler, outre l’épisode Valery Gergiev ; que la Scala avait écarté juste après le début de la guerre et dont Dominique Meyer souligne qu’il doit être traité différemment en raison d’une proximité politique avec le président russe qui n’a, selon lui, pas d’équivalent parmi les chanteurs invités à Milan ; que son théâtre a affiché depuis février un soutien sans faille aux victimes de la guerre, y compris dans l’accueil d’artistes ukrainiens et de leur famille.