Voilà une œuvre qui n’en finit pas de déconcerter : sacrée par le texte ; profane par la musique qui, faisant fi du message religieux, s’ébat le plus souvent dans les ors de l’opéra ; hétérogène comme si l’assemblage de ses numéros relevait d’un simple hasard, sans souci de construction savante. Une œuvre ? Une énigme.
L’histoire de sa composition explique en partie son originalité. Commandée lors d’un voyage en Espagne en 1831 par le théologien Manuel Fernández Varela, la partition laissée inachevée par Rossini, malade, fut complétée par son ami Giovanni Tadolini avant d’être créée le samedi saint de 1833 à la Chapelle San Felipe el Real de Madrid, puis oubliée. Sa vente quelques années plus tard à un éditeur de musique parisien, Antoine Aulagnier, conduisit Rossini à la reprendre pour la mener cette fois à terme. La première exécution dans sa version définitive à la Salle Ventadour du Théâtre-Italien à Paris, le 7 janvier 1842, reçut un accueil triomphal. Jamais démenti, ce succès a engendré une myriade d’enregistrements dont aucun ne se pose en référence – raison pour laquelle peut-être, il ne se passe pas une ou deux saisons sans qu’une nouvelle proposition ne s’ajoute à une discographie pléthorique.
Directeur depuis 2015 de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, Gustavo Gimeno s’attaque à son tour à la résolution d’une équation trop souvent réduite à deux paramètres – église et théâtre. La force de son interprétation tient à la manière dont sa lecture s’affranchit de ce dilemme pour offrir une nouvelle alternative. Le « en même temps » du macronisme appliqué à la partition de Rossini si l’on veut résumer l’approche par une formule.
Artificiels, l’éloquence du geste et ces quelques effets de manche – l’enchaînement sans temps mort des deux dernières séquences par exemple ? Artificiels, les éclairs des cuivres de l’« Inflammatus » tandis que dans un ciel soudain obscurci tonnent les timbales ? Artificiel, ce « Cujus animam » enserré avec une telle souplesse qu’il en oublie de plastronner ? Artificiels, l’élan compassionnel du « Pro Peccatis », le balancement recueilli du « Fac Ut Mortem », l’éloquence des contrastes dans le « Quando Corpus Morietur » ? Artificiels et spirituels, tant est ténue dans le catholicisme la frontière entre le drame et l’expression. La dichotomie entre velours et encens si souvent observée lorsqu’on passe au crible le Stabat Mater rossinien perd son sens lorsque comme ici les intentions se confondent en un récit haletant auquel l’orchestre et les chœurs apportent un indéfectible soutien.
Restent les solistes – Maria Agresta, Daniela Barcellona, René Barbera, Carlo Lepore – les trois derniers rossiniens patentés, dont le tout s’avère supérieur à la somme des parties. Ensemble, ils contribuent à l’équilibre admirable de cette lecture du chef d’œuvre sacré de Rossini. Séparés, ils souffrent, sans démériter, chacun dans leur tessiture, de la comparaison avec bon nombre de leurs prédécesseurs. A défaut de la référence donc, une version à considérer.