Le principal intérêt de cet enregistrement publié dans un son remasterisé et tout à fait correct, alors qu’il avait précédemment fait l’objet de pressages plus ou moins hasardeux, est bien sûr d’entendre Fiorenza Cossotto au début de sa carrière dans le rôle de Romeo des Capulets, mais aussi,une chanteuse dont on parle bien peu aujourd’hui, et qui dans les années cinquante, fit les beaux soirs de bien des scènes italiennes : Antonietta Pastori. en Giulietta et ensuite en Marguerite des Huguenots.
Si l’on se souvient des saisissantes incarnations de Fiorenza Cossotto dans les grands rôles de mezzo verdien : Amnéris, Eboli, Ulrica, et aussi en Santuzza de Cavalleria Rusticana, qu‘elle marqua de manière indélébile, il convient de ne pas oublier qu’elle fut aussi une formidable belcantiste : Giovanna Seymour, où elle débuta au festival de Wexford en 1958, Adalgisa, Léonore de La Favorite, Tancredi, et Rosina du Barbier de Séville de Rossini, et last but not least une authentique mozartienne : Cherubino des Noces, et surtout Cecilio de Lucio Silla où elle est tout bonnement extraordinaire. (Un enregistrement est paru, témoignage précieux, bien que malheureusement elle s’y trouve assez moyennement entourée : SARX Records , SXAM 2019-2).
Cette soirée captée à Rome en septembre 1958, témoigne une fois de plus de manière éclatante des qualités exceptionnelles de l’artiste : voix ductile, à la fois chaude et fruitée, d’une grande homogénéité du grave à l’aigu, technique irréprochable, vaillance, engagement et style, qui font d’elle un Romeo d’anthologie. Cerise sur le gâteau, on apprécie l’élégance et la sobriété toutes « viriles » dont elle fait preuve, sans fioritures inutiles et avec une profonde sensibilité. A ce titre ses « La tremenda ultrice spada » et « De tu bell’anima » son exemplaires.
Face à ce valeureux et noble Romeo, la Giulietta d’Antonietta Pastori est du même tonneau et son timbre lumineux de soprano clair, à la colorature argentine et souple se marie idéalement à celui de Cossotto, douce fragilité se mêlant à la bouillante ardeur du chef des Montaigu. (Rappelons que Pastori fut entre autres une Nanetta d’exception dans le Falstaff dirigé en 1957 à Glyndebourne par Vittorio Gui avec Geraint Evans dans le rôle-titre, édité chez Gala Référence : GL 100 784).
Les autres rôles sont plutôt bien tenus, et même si le Tebaldo de Renato Gavarini a quelques problèmes au début, il s’améliore ensuite de manière notoire. Vittorio Tatozzi en Capellio ne démérite pas non plus, tout comme le Lorenzo d’Ivo Vinco qui, on le sait, fut l’époux de la mezzo italienne pendant plus de quarante ans.
La direction de Lorin Maazel est globalement satisfaisante, malgré des tempi parfois un peu lents.
Le deuxième acte des Huguenots, bien que chanté en italien, n’est pas moins fertile en surprises et en découvertes : Antonietta Pastori en Valentine y est tout bonnement époustouflante et son interprétation remet sacrément les pendules à l’heure, et renvoie aux oubliettes nombre de ses collègues. Son duo avec rien moins que Lauri-Volpi – célèbre Arnold de Guillaume Tell et sublime Raoul âgé alors de quelques soixante-six printemps (il naquit en 1892 !) est d’anthologie(*).
Formidable Urbain de Jolanda Gardino, qui fut Zaïre dans l’enregistrement du Turc en Italie avec Maria Callas, séduisante Valentine de Anna de Cavalieri (de son vrai nom Anne Mc Knight, née aux Etats-Unis) et qui se fit connaître en chantant Alceste de Gluck : on aimerait en entendre d’avantage…Le tout mené avec panache par Tullio Serafin himself.
On comprendra que cette réédition est un must à ne pas manquer et qu’elle comblera aussi bien les fans de Fiorenza Cossotto, que les curieux et les amateurs de beau chant.
Juliette Buch
(*) Antonietta Pastori fut également Rosine du Barbier (Rossini) auprès d’Ettore Bastianini à Naples en 1956 (enregistrement paru chez Andromeda – Référence ANDR CD 5060).