Bien belle surprise avec la première parution mondiale en dvd du Roi d’Ys. A notre connaissance, également une première collaboration entre la firme Dynamic et l’Opéra Royal de Wallonie, les contacts privilégiés entre son directeur, Stefano Mazzonis di Pralafera, y sont sans doute pour quelque chose. Et ma foi, plus qu’une heureuse surprise, cette édition s’avère être une des sorties les plus intéressantes du catalogue italien, en remplissant plus qu’à satiété sa mission plurielle.
La réalisation de l’enregistrement vidéo ne cherche pas midi à quatorze heures, fonctionnelle, efficace, elle évite les maladresses que nous avons parfois constaté dans la confection d’autres numéros du même catalogue. Dynamic ne dispose pas de moyens extraordinaires et a multiplié les parutions pour répondre aux besoins d’un certain marché. Dans les derniers mois, nous avions regretté que l’éditeur perde quelque peu sa mission première de vue : offrir des raretés ou combler des manques importants du répertoire. Avec ce Roi d’Ys, la firme se repositionne artistiquement dans le meilleur de sa production et du créneau original qui est le sien.
Grande efficacité du côté de la mise en scène de cette coproduction avec l’Opéra de Saint Etienne. Jean Louis Pichon à la tête d’une véritable équipe (costumes, décors, éclairages), offre une vision d’une belle eau. Visuellement, la soirée captive immédiatement, de manière assez inexplicable tant les moyens scéniques sont simples. La cité d’Ys est définie comme un lieu austère, les aspects lacustres sont rendus dans les arêtes des formes rappelant les falaises bretonnes, une judicieuse utilisation du métal évoque des bastingages tandis que des éclairages de ciel plombé participent à appesantir le quotidien difficile du peuple marin. On ressent l’oppression immédiate du drame qui va se nouer. Les tonalités de vert définissant le peuple d’Ys en opposition manichéenne au rouge sang de la faction de Karnac, fonctionnent parfaitement. Là où certains illuminés s’en seraient donné à cœur joie dans la projection de leurs fantasmes, et Dieu seul sait que l’œuvre pourrait donner lieu à bien des transpositions poujadistes, la réussite du metteur en scène se définit avant tout dans le respect des codes de la partition peu évidente à traiter. Entre le témoignage de ce qu’était l’Opéra français à cette époque et l’admiration sans borne que portait Lalo aux compositeurs allemands, Le Roi d’Ys s’avère délicat à proposer. Délicat musicalement, car là aussi, avec peu d’attention, on pourrait rapidement verser dans le zim boum à tout va et pompiérisme en croisière. Avec son look impossible, Patrick Davin, tout en devant composer avec les limites de l’orchestre de l’ORW, réussit quasiment une mission impossible. Vu le navire qui est le sien, le chef belge tire le meilleur parti des forces en présence. La gageure n’était guère aisée et l’on admire l’équilibre stylistique entre le goût romantique français et les prémices (traitements des leitmotivs) ou évocations (ouverture, intermèdes musicaux) d’un souffle beaucoup plus germanique. Davin réalise également un excellent travail au niveau du soutien de ses solistes vocaux et vu la dimension de la plupart des rôles, cela s’avèrera être un des éléments cruciaux de la réussite de ce spectacle. De l’orchestre, et nous sommes heureux de pouvoir enfin le dire, il réserve également plutôt une bonne surprise, même si l’on passera sur les habituelles limites solistes de certains pupitres et que l’on remerciera l’ingénieur du son assez inspiré. Nous ne pouvons malheureusement pas joindre les chœurs à ce proficiat. Hormis quelques naufragés omettant sans doute qu’ils sont filmés et affichant seulement en guise de présence, une mine de « qu’est ce que je fais dans cette galère ? », le traitement scénique remplit son rôle. Vocalement, le bât blesse plus cruellement, notamment au niveau des pupitres féminins qui réclameraient d’urgence un peu de sang neuf. La masse chorale est voulue dans ce type d’œuvre comme un protagoniste de tout premier plan, passer même partiellement à côté de ces urgences dramatiques, revient à amputer la partition d’une de ses forces motrices.
Du côté des solistes, l’enregistrement dvd focalise le meilleur d’eux–mêmes pour la majorité. Fortement appréciées sont l’homogénéité de l’affiche, les interactions et complémentarités tant sur les plans physiques, psychologiques que vocales. Marc Tissons est un Jahel irréprochable vocalement et de très haute tenue scénique, tandis que Léonard Graus (Saint Corentin) sert toujours les utilitaires avec un grand professionnalisme et une efficacité malgré une certaine usure des moyens. On admire une fois encore la prestation du baryton belge Werner van Mechelen. Tout en disposant d’un instrument à la séduction limitée, on salue les qualités musicales et scéniques d’un bel artiste qui a su transcender toutes les limites de sa voix. Son Karnac est remarquablement conduit, phrasé, sa sobriété scénique et la vilénie du personnage vont droit au cœur comme le poison psychologique qu’il distille à Margared. Eric Martin-Bonnet est le grand bénéficiaire du report en vidéo, où l’enregistrement masque bien des insuffisances d’un chanteur appelé à un tout autre répertoire, notamment au niveau de l’envergure d’un rôle le dépassant régulièrement. Si la figure paternaliste peut encore paraître crédible, les tensions dramatiques d’un véhicule destiné – minimum – à un Ernest Blanc ou à un Alain Fondary au sommet, sont malheureusement d’une cruauté implacable. A l’heure de ce document, Sébastien Guèze offrait encore une certaine promesse d’un bel avenir. Le jeune ténor français a fait couler énormément d’encre virtuelle depuis quelques saisons. Il a, à juste titre, attiré l’attention grâce à un physique plutôt sympathique et le potentiel d’une voix qui, si elle avait été correctement et suffisamment travaillée, aurait pu rendre d’immenses services, notamment dans le répertoire de lyrique léger. Son Ruiz à Orange au côté de l’improbable Manrico de son idole Alagna, permit de mettre un visage sur son nom, tandis que son Marius à Marseille, dans la comédie musicale de Cosma, toujours dans le sillage du chanteur franco-sicilien, fut une belle réussite personnelle. Marseille et sa directrice, Renée Auphan soutiennent ardemment le ténor qui se verra prochainement confier Vincent, ce qui, sur papier, semble judicieux, tout comme l’était ce Mylio. Du jeune guerrier, Guèze en possède un profil partiel, juvénile et impatient, le meilleur de sa composition scénique réside dans les aspects amoureux qu’il partage avec Rozenn. Ses déplacements scéniques, sans évoquer un acteur de génie en devenir, sont d’une efficacité de bon aloi. Vocalement, il y a un an, le ténor était encore une promesse, un potentiel basé sur un timbre d’une réelle beauté. Malheureusement, ce témoignage vidéo ne nous épargne aucune des carences d’un chant prosaïque, à l’émission constamment forcée, ne possédant aucune idée de la gestion de son premier passage vers l’aigu et ne pouvant camoufler un soutien aussi chaotique qu’inefficace. Les gros plans s’avèrent particulièrement douloureux pour l’auditeur. Un an plus tard, Guèze a notamment abordé Rodolfo de La Bohème ainsi que Pinkerton… La consternation fut générale devant le concert des Révélations de la Musique Classique où il était nominé, concert offrant dans la plus grande tristesse, la débâcle d’une voix maltraitée et ne répondant plus aux brutalités de son propriétaire… Désormais, seul Guèze est en mesure de dire, s’il veut se donner les moyens de réagir en reprenant un travail vocal à la base et de réparer ce qui peut encore l’être. Autrement, après Marseille, des débuts importants à l’Opéra de Paris également avec Vincent sont d’actualité pour la saison prochaine. Guylaine Girard s’approche de près de l’idéal voulu par le grand soprano lyrique français réclamé par Rozenn. Hormis un vibrato occasionnel un peu serré, témoignant des limites atteintes dans la confrontation avec les tensions les plus vives du rôle, la soprano canadienne signe un portrait convaincant. Sa composition vocale offre bien des beautés dans une prestation sincère et engagée. Sa complémentarité avec sa sœur est une réelle réussite partagée par Giuseppina Piunti que nous découvrions. Margared réclame le Falcon qui servait les Rachel et autre Valentine, autrement dire, quasiment impossible à distribuer en nos temps de crise. La vocalité hybride de la cantatrice italienne se double d’une superbe actrice en scène, au physique altier. Piunti convainc et émeut pleinement dans la psychologie tourmentée de Margaret dont elle offre un portrait aux multiples reflets. Vocalement, on lui pardonne quelques sonorités en arrière, tant la fougue maîtrisée de la cantatrice emporte immédiatement l’adhésion. Au final, une soirée dans laquelle on plonge dans l’instant et qui file sans aucune lassitude, démontrant que non seulement cette partition est viable, mais mériterait les honneurs et les moyens d’une grande scène nationale parisienne.
Philippe PONTHIR