Des quelques 600 Lieder que composa Franz Schubert, on ne retient en général que les célèbres cycles Die Winterreise et Die Schöne Müllerin ainsi qu’une kyrielle de pièces célèbres mais on oublie souvent que le compositeur est également l’auteur de « chants à plusieurs voix » (Mehrstimmige Gesänge) dont on dénombre approximativement 130 exemples divers, qui vont de simples canons ou pièces homophoniques avec piano à des cantates élaborées, avec solistes chœurs et orchestre. Le 32e volet de la Deutsche Schubert-Lied-Edition en cours chez Naxos est le premier volume que consacre le label aux chants avec accompagnements de piano. Deux autres devraient suivre et on ne peut que s’en réjouir.
Naxos a réuni pour l’occasion un plateau vocal excellent et parfaitement homogène, accompagné par le piano bienveillant d’’lrich Eisenlohr, également auteur de l’excellent texte de présentation. C’est avant tout le bonheur de faire de la musique ensemble qui ressort dès la première plage du disque, Die Geselligkeit (1), pièce idéale pour illustrer le concept de convivialité. Dans ces conditions, la transition vers le très sombre Nun lasst uns den Leib begraben est un peu difficile mais une fois « installé » dans cette pièce, on aimerait qu’elle soit rendue de manière un peu plus lugubre encore. De la même manière, les premières mesures de Gott im Ungewitter pourraient être plus « terrifiantes » comme les mots « Du Schrecklicher » le laissent sous-entendre… En revanche, la Résurrection du Christ dans l’Osterlied est plutôt tiède, alors que l’événement (et la musique) sont sensés évoquer la joie des croyants. Cela ne dénote pas un manque d’engagement mais semble être une option délibérément choisie par les chanteurs. Est-ce un hasard si plusieurs d’entre eux ont beaucoup travaillé avec Philippe Herreweghe dont la direction ne tourne jamais à la débauche de joie et de douleur mais est surtout caractérisée par ce genre de « demi-teintes » mesurées et toujours sous contrôle ? Si le rendu du texte est partout parfait, personne ne se sent investi d’une quelconque mission exégétique, préférant placer l’intérêt ailleurs, dans les couleurs et la souplesse notamment. Précisons que nous signalons mais ne condamnons pas ce choix, tout à fait défendable dans ces pièces de Schubert
Si aucune carence vocale n’est à relever, il est quelque peu dommageable que la prise de son ne flatte pas les voix masculines, trop peu audibles dans les ensembles. N’oublions pas que l’harmonie repose avant tout sur les basses et qu’il est important qu’elles se fassent entendre. Mais on ne peut bouder le plaisir que l’on éprouve à écouter ce programme « relevé » -au sens culinaire du terme- par le savoureux Der Hochzeitsbraten, sorte de mini-opéra pour trois chanteurs (deux fiancés et un chasseur ayant « autorité ») dont les rapports rappellent un peu ceux de Susana- Figaro- Le Comte d’autres Noces. Ce Komische-Terzette est parfaitement interprété par Sibylla Rubens, Markus Shäfer et Markus Flaig, accompagnés par Eisenlohr qui y met son volontiers son grain de sel et fait preuve d’un sens théâtral très fin. En somme, cet enregistrement très abouti est recommandable aux amateurs de Lieder désireux de sortir des sentiers battus et aux amoureux de Schubert qui s’y régaleront. Les mélomanes en mal d’émotion passeront leur chemin. De toute manière, il n’est pas certain que ce disque arrive jusqu’à eux, étant donné la confidentialité de ce répertoire.
Nicolas Derny
(1) Littéralement, « la sociabilité ».