En 2008, le premier récital de Jonas Kaufmann chez Decca, « Romantic arias », osait en un seul disque, et avec un égal bonheur ou presque, les plus grands airs d’opéras français, italiens et allemands. Une gueule d’amour exhibée sur la pochette de l’album finissait d’emporter la partie. La critique et le public stupéfaits se découvraient une nouvelle coqueluche tandis que la carrière du ténor, amorcée pourtant depuis un certain temps (1992), allait désormais se poursuivre sous les sunlights et sans le moindre faux pas. Fidelio à Paris, Lohengrin à Munich, Des Grieux et Cavaradossi à Vienne, Don Carlo à Londres : des rôles exigeants modelés à chaque fois d’une voix de fer, entrecoupés d’épisodes plus anecdotiques, comme ce concert triomphal en mars 2009 au Théâtre des Champs Elysées ou deux mois auparavant ce chanteur du Rosenkavalier à Baden Baden aux côtés de Renée Fleming, Sophie Koch et Diana Damrau. Paillettes imposées par notre époque, marketing étudié qui encerclent de glamour l’image de Jonas Kaufmann sans toutefois en altérer l’intégrité. Derrière le dandy moderne, se tient pudique le liedersänger, l’interprète de Schumann et Liszt dont les mélodies continuent de figurer dans l’agenda comme un indispensable ressourcement. Plus qu’un style, un état d’esprit et un besoin de retourner aux origines germaniques dont le ton et le programme de ce nouvel enregistrement attestent. « J’ai grandi avec ce répertoire, il m’accompagne depuis l’époque de mes premiers souvenirs musicaux… on peut dire qu’il est inscrit dans mes gènes », témoigne le ténor dans le livret qui accompagne le disque.
Schubert, Mozart, Beethoven, Wagner, quatre piliers de l’opéra allemand, une même langue, une même syntaxe mais des emplois différents : lyrique, dramatique et même heldentenor. Jonas Kaufman réalise ici l’exploit de les revêtir tous. Le timbre satiné continue de séduire. Le medium est toujours solide, l’aigu franc, la voix égale. Une certaine réserve qui tient lieu de noblesse campe droit dans leur armure ces héros intrépides. De l’allure et de la prestance pour un choix de scènes qui voient défiler Lohengrin, Tamino, Fidelio, Siegmund, Parsifal ou, moins connus et donc bienvenus, Fierrabras et Alfonso dont le « Schon, wenn es beginnt zu tragen » avec ses dessins de clarinette annonce « Le Pâtre sur le rocher ». Tous techniquement irréprochables même si certains portraits retiennent l’attention plus que d’autres. Parmi les plus accomplis, un Lohengrin cyclothymique aux couleurs tantôt blêmes, tantôt saturées, irréel et magnifique ; un Fidelio exalté, dont le « Gott ! » demeure saisissant, bien qu’on l’aime encore plus douloureux. Tamino laisse une impression mitigée avec un « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » d’une juste ferveur mais un « Wie stark ist nicht dein Zaubertorn » en mal d’innocence. Surtout, on a connu Siegmund et Parsifal mieux caractérisés, des « Winsterstürme » plus enivrés et plus enivrants, des « Amfortas ! » plus illuminés (et des Kundry autrement tentatrices). La faute à l’interprétation, trop policée, mais aussi à Claudio Abbado. Le chef d’orchestre à force de soigner le flacon en oublie l’ivresse : direction luxueuse, geste magistral mais dépourvu hélas d’urgence théâtrale.
Christophe Rizoud