« J’ai toujours cru que Vivaldi était le genre de compositeurs juste bons pour les touristes à Prague » déclare Magalena Kozena dans la vidéo promotionnelle1 de son dernier album. Etrange de la part d’une artiste qui fut une magnifique Juditha dans l’oratorio du même nom enregistré par Naïve en 2001, rôle qui en sept airs de la meilleure facture (dont le soyeux « veni me sequere fida ») propose un portrait de la meurtrière d’Holopherne accompli mais impropre à séduire le touriste en goguette. C’est justement vers le projet Naïve que nous renvoie ce nouvel enregistrement, la plupart des airs proposés étant extraits d’œuvres dont l’intégrale figure déjà au catalogue du label indépendant2.
Pas ou peu de découvertes donc, contrairement à ce qu’affirme la chanteuse dans le même vidéo, et la possibilité de comparer son interprétation de certains tubes vivaldiens avec des versions tout aussi contemporaines, comparaisons qui ne tournent pas à l’avantage de la mezzo-soprano tchèque. Ainsi le « Gelido in ogni vena », extrait de Farnace, dont Cecilia Bartoli3 et Furio Zanassi4 nous ont déjà livré deux interprétations opposées mais absolues, la première toute de terreur affichée, la seconde au contraire, repliée dans sa douleur, et qui, chez Magdalena Kozena, parait moins vécu. L’air avec ses chutes profondes sur les mots « terrore » « sangue » met surtout en valeur l’insuffisance du registre grave réduit aujourd’hui à quelques notes fantoches, artificiellement sombrées et dépourvues d’impact. Tout aussi impitoyable à cet égard, le « Nel profondo cieco mondo » (Orlando Furioso), qui, au contraire des autres airs proposés ici, n’attendit pas la Vivaldi renaissance pour être révélé par une Marylin Horne autrement exaltante. Dans un genre différent, celui de l’éther, comment rivaliser avec l’extrême musicalité d’un Philippe Jaroussky en état de grâce, exhalant un « Sol da te, mio dolce amore » (Orlando furioso) insurpassable de poésie. Pourquoi avoir passé tant d’heures à constituer ce programme, ainsi que le raconte Magdalena Kozena, pour aboutir à ces choix courageux mais discutables ? Pourquoi avoir jeté son dévolu sur le répertoire d’alto autant que celui de soprano quand la voix semble désormais avoir choisi son camp, bien plus Ersilla qu’Origille (Orlando finto pazzo) ? A la virtuosité de l’une, envisagée comme un défi avec des variations qui sans surprise privilégient l’aigu, répond la théâtralité de l’autre, terrain de prédilection d’une chanteuse à laquelle on a souvent reproché son excès d’expression. La mezzo-soprano s’ébat évidemment comme une sirène dans l’appel aux puissances infernales de « Lo stridor, l’orror », où Vivaldi délaisse un instant les chemins balisés de l’aria da capo pour se permettre un arioso suivi d’un récitatif accompagné qui, dans la liberté et la densité de sa locution, annonce bien des enchanteresses à venir (Alcina de Haendel, Armida de Rossini, etc.).
Décidément en mal de confidences, Magdalena Kozena avoue être davantage attirée par le côté doux de l’art vivaldien quand tout dans son chant contredit cet aveu : le rougeoiement du timbre, certains sons hululés, des intonations volontairement indécises, des accent brûlants, une volonté de contraste. Un ensemble de caractères qui, inclinant plus à la tragédie qu’à l’élégie, font préférer, dans les tempi alanguis, l’anxiété suintant de « Non mi lusinga vana speranza » (L’incoronazione di Dario) à l’angélisme d’un « Mentre dormi, Amor formenti » (L’Olimpiade) étiré jusqu’à l’ennui
Si l’on en croit toujours la cantatrice, « le plaisir de la découverte s’est doublé du plaisir de travailler avec le Venice Baroque Orchestra », affirmation que cette fois l’on ne remet pas en cause tant les sonorités de l’ensemble et la direction d’Andrea Marcon rachètent toutes les déceptions, constituant même le premier intérêt de cet enregistrement. Flot jaillissant, sans cesse renouvelé, qui ne se contente pas de décorer mais cherche aussi à exprimer, osant l’amer (la scansion de « Gelido in ogni vena » dans une progression dramatique bienvenue) autant que le suave (la caresse du luth dans « Forse o caro in questi accenti »), le lent (un « Sol da te, mio dolce amore » pour le coup un peu assoupi) comme le rapide (l’entrain du luth et des violons dans « Solo quella guancia bella » qui donne à l’aria de Rosane des allures de ballade folk). La rencontre entre l’intelligence du discours orchestral et l’art de Magdalea Kozena, quand il est inspiré, peut produire des miracles, tel ce « Sonno, se pur sei sonno » de Tito Manlio, choisi – ce n’est pas étonnant – pour promouvoir le disque, qu’il ouvre comme une promesse, hélas non tenue.
Christophe Rizoud
1 http://www.youtube.com/watch?v=OHwjh1jCiI0
2 Seuls Arsilda Regina di Ponto (RV 700), L’incoronazione di Dario (RV 719) et Ottone in Villa (RV 729) n’ont encore été intégralement enregistrés par Naïve soit 3 pistes sur les 17 proposées.
3 Vivaldi Album, Il Giardino Armonico (Decca)
4 Farnace, direction Jordi Savall (Alia Vox). L’enregistrement, compte tenu de sa qualité, a depuis été ajouté par Naïve à son catalogue.