Bel opus pour la très belle Vivica Genaux qui se plie de bonne grâce à l’exercice obligatoire de saison pour tout chanteur ayant l’avantage du contrat d’exclusivité : le récital carte de visite. Logiquement et légitimement, la cantatrice lance toutes ses forces dans un album Vivaldi sur un concept unique d’hymne à la virtuosité. Cette agilité est devenue depuis l’enregistrement réussi Arias pour Farinelli avec la complicité absolue de Jacobs, son fond de commerce. Forte de ses succès mérités dans la trilogie des contraltini (Barbiere, Cenerentola, Italiana), Vivica Genaux s’était abandonnée aux sirènes rossiniennes nettement plus opulentes mais aussi, autrement risquées pour sa vocalité qui malgré quelques artifices, demeure un instrument léger dans bien des paramètres. Le syndrome de la relève de Horne faillit lui coûter cher. Apparemment, depuis quelques saisons, elle semble bien sagement y avoir renoncé, le Rossini Serio se réservant une part congrue et bien choisie (version concertante) de son calendrier. Désormais, la sympathique mezzo surfe avec un bonheur certain sur la vague de la mode baroque voyant l’exhumation de la moindre note scribouillée par le prêtre roux. Phénomène qui dans ses excès, finira par entraîner une lassitude voire une irritation. Vivica Genaux doit beaucoup à Vivaldi où sa vocalisation et son androgynie trouvent une multitude d’emplois à ses mesures. Hormis quelques réserves mineures et dans l’entourage adéquat de Fabio Biondi et de la formation Europa Galante, ce disque est une réussite et ravira non seulement les admirateurs de la cantatrice mais également, les amateurs de traits à la sulfateuse.
Au niveau du contenu, on saluera un timing généreux et un programme équilibrant judicieusement quelques tubes légitimes (« Agitata da due venti ») avec, à notre connaissance, une demi douzaine de nouveautés au disque. Energie communicatrice, évidente complicité entre chef et cantatrice dans la vision musicale et plaisir immédiat passant la rampe de l’enregistrement, attendent l’auditeur. Il nous semble néanmoins que Vivica Genaux à un certain moment, se retrouve prisonnière du carcan pyrotechnique de son album. Dans le souci de ne pas s’éloigner du concept, on multiplie les pages à prouesses virtuoses au risque non pas d’une certaine lassitude mais, de ne plus savourer ces numéros dans leurs attraits théâtraux ou simplement, de stupéfaction vocale. L’émotion musicale se nourrit de tensions et de détentes, de contrastes, de couleurs opposées. Dans la contrainte de la thématique retenue, nous sommes sans doute passés à côté d’une dimension dont est tout à fait capable Vivica Genaux.
Sur le strict plan vocal, on notera également que quelques saisons se sont écoulées depuis l’album Farinelli. Si la virtuosité de la chanteuse est quasi intacte, disons qu’elle paye son tribut aux années écoulées. On connaît visuellement sa technique très personnelle, qui en gêne plus d’un et qui ferait passer la Bartoli pour une Madone extatique en piété. Cette vocalisation lui permet toujours les excès de vitesse les plus déjantés mais sans doute, au prix d’une couleur assez monochrome, d’un assèchement de la matière et on le vérifiera en concert, d’une projection qui par nature, n’a jamais été le point fort de la cantatrice.
In fine, on estimera l’enregistrement suivant sa philosophie du verre à demi vide ou à demi plein. Les fastes orgiaques de la Horne ne sont pas prêts d’être relégués, les sommets émotionnels de la Bartoli nous accompagneront encore longtemps et pourtant, au sein de sa discographie, Vivica Genaux nous offre un bien beau portrait de son art généreux.
Philippe PONTHIR