Dans une discographie plutôt limitée pour un opéra largement méconnu et rarement donné sur scène, la sortie d’une nouvelle version d’Otello, l’autre, celui de Rossini, est un évènement. Otello est un des meilleurs opera seria du Cygne de Pesaro, tout à fait au niveau de la Donna del lago ou de Bianca e Falliero.
Cette édition nous vient du festival de Bad Wildbad en Allemagne, et en particulier de son édition 2008. On s’est habitués depuis longtemps à se passer de versions studio, en particulier pour des œuvres de ce genre peu susceptibles d’attirer le chaland en tête de gondoles (même si l’opéra se passe à Venise…), et à se rabattre sur des versions live. En 2000 déjà, le festival de Martina Franca nous donnait un premier enregistrement de la version Malibran où Otello est incarné par une soprano (version Dynamic, sous la direction de Paolo Arrivabeni). Côté studio, deux versions très inégales : Philips avait confié à Jesus Lopez-Cobos la direction d’une équipe de stars (Von Stade, Carreras…) qui a vieilli et peu adaptée à ce répertoire ; en 1999, enfin Opera rara avait, comme souvent, raflé la mise avec une distribution adéquate, Bruce Ford en tête et l’intérêt de présenter les deux fins alternatives, en particulier la lieto fine et des bonus passionnants.
Ici, la distribution ne repose sur aucune star mais sur de jeunes chanteurs anglo-saxons et italiens (à noter la présence de la mezzo française Géraldine Chauvet en Emilia) qui s’engagent sympathiquement dans la représentation, avec leurs atouts et leurs faiblesses, sous la baguette d’Antonino Fogliani à la tête d’un orchestre plutôt lourdingue auquel les subtilités de la riche orchestration rossinienne semblent échapper.
A la tête de la distribution, le Maure de Michael Spyres, désormais habitué de Wildbad et étoile montante au firmament des ténors lyriques après son passage dans la troupe de la Deutche Oper de Berlin. La voix est belle, les aigus faciles et percutants, les vocalises évidentes… et, qualité indispensable dans ce rôle caractéristique du répertoire des baryténors – le rôle a été créé par Andrea Nozzari – Spyres ne manque pas de graves impressionnants. Certains passages le mettent, c’est vrai, en difficulté et il frôle l’incident dans le duo avec Jago de l’acte II. A coup sûr, on entendra parler de lui dans les prochaines années : son carnet est plein d’engagements jusqu’en 2013, avec des débuts attendus sur les plus grandes scènes (Bologne, Covent Garden, Met).
Les deux autres ténors de l’affiche ne sont pas à son niveau. La voix de Giorgio Trucco, Jago, qui a déjà derrière lui une carrière d’une dizaine d’années, fait penser à celle d’Antonino Siragusa, avec un timbre souvent blanc et un désagréable manque de chair et de pulpe. En Rodrigo, protagoniste beaucoup plus important que dans l’Otello de Verdi et à qui Rossini offre une des plus belles pages de l’œuvre (l’air de l’acte II « Che ascolto ?ahimè, che dici ? »), Filippo Adami, avec ses moyens, démontre une certaine maîtrise théorique des exigences du chant rossinien, avec variations des reprises, ornementations, messe di voce et autres effets vocaux. Mais ne nous emballons-pas : le bon Adami est à des années, des siècles lumières de Rockwell Blake, resté tout simplement inégalé dans ce répertoire.
Côté dames, la soprano australienne Jessica Pratt, entendue en France, notamment dans les Puritains à Toulon, et qui s’est perfectionnée à l’école des jeunes chanteurs du Met puis à Rome, est une Desdemona d’excellente tenue et elle forme avec Michael Spyres un couple musical magnifique. Le matériau vocal est beau et sain, la musicalité de très bon goût. On a, elle aussi, hâte de l’entendre dans d’autres rôles à son répertoire comme Armida, Gilda ou Eudoxie.
Le reste de la distribution, en particulier le sonore Elmiro d’Ugo Guagliardo, confère à cette production une unité appréciable et, pour moins de 15 euros, ce cd est une excellente occasion pour redécouvrir cette œuvre superbe du meilleur Rossini serio, avant une exécution en version de concert à Paris (1) le 11 novembre prochain, avec, en principe, Ana-Caterina Antonacci, Antonino Siragusa et Evelino Pidò à la baguette. Reste enfin à espérer qu’un jour prochain, le festival Rossini de Pesaro se décidera à diffuser, par exemple en DVD (une soirée avait été captée par la RAI…), l’insurpassable production de l’été 1988 : Chris Merritt, June Anderson, Rockwell Blake, direction Pritchard et mise en scène Pizzi. Qui dit mieux ?
Jean-Philippe Thiellay
(1) Sauf erreur, la dernière exécution remonte à février 1986 au TCE. Roderick Brydon y dirigeait June Anderson, Curtis Rayam, Raul Gimenez, avec une mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle.