Un hommage à l’Espagne, au monde ibérique, à la musique tsigane… voilà ce qu’Elīna Garanča a choisi de proposer pour son troisième CD chez Deutsche Grammophon qui motivera une tournée de concerts à l’automne1… sans lien avec l’actualité française de ces derniers mois et des polémiques sur les roms, cela va sans dire, l’album ayant été enregistré au printemps 2010.
Ce CD était attendu avec curiosité. Après un premier opus très réussi, début 2007, qui avait permis au public de mieux connaître la mezzo-soprano lettone et des débuts sur scène un peu partout, Bel Canto, à la fin de l’année 2008 avait un peu déçu, alors que, au même moment, les prises de rôles s’enchaînaient avec grand succès, en particulier dans ce type de répertoire (Roméo notamment, enregistré pour DG3).
Avec Habanera, le programme revient sur des terrains manifestement plus personnels et le résultat est très séduisant, avec un choix qui met l’accent sur des pages rares très habilement articulées.
Dans les deux entretiens qu’elle nous a accordés2, Elīna Garanča souligne à nouveau son goût pour l’Espagne où elle vit désormais et le choix des morceaux proposés démontre cette connaissance intime. L’interprétation s’en ressent. Dès la première plage du CD, un extrait de zarzuela (la chanson de Paoloma extrait de El Barberillo de Lavapiés) permet de retrouver la fougue, le caractère et la flamme qui nous avaient tant séduits. Il en va de même de nombreux autres numéros, comme la chanson gitane de Serrano, l’irrésistibles« De España vengo » de Pablo Luna ou les mélodies de Manuel de Falla (« Jota », dans un arrangement avec guitare, chanté comme un Flamenco vraiment envoûtant). Les goûts plus contemporains de l’artiste sont également là : avec le compositeur né en 1958 José Maria Gallardo del Rey à la guitare, elle donne une « Canción del Amor » carrément cross-over qui sollicite la voix de la mezzo de manière surprenante. Surprenante et cohérente à la fois…
De la personnalité encore dans le « Old Lady’s Tango » de Candide, auquel Elina Garanca prête beaucoup d’humour, y compris en jouant sur un délicieux faux accent anglais (« I am easily assimilated! ») au couteau.
Quelques autres pièces plus traditionnelles sont au programme, et en particulier quatre extraits de Carmen qui a beaucoup occupé Garanca depuis quelques mois et qu’elle reprendra au Met cet automne. DG fait du reste bien les choses, avec la sortie en France, le même jour du DVD capté à New-York. On note la rare première version de la Habanera, qui donne un angle intéressant à cette scène du premier acte… même si on ne peut imaginer qu’un théâtre abandonne le « tube » de l’oeuvre au profit de cette rareté. Dans la scène avec Don José, Roberto Alagna est venu donner la réplique et c’est un partenaire de luxe, à la diction et à a projection de très haute tenue. Même si l’un et l’autre n’ont pas la même prononciation des “r” (secs pour le ténor, roulés pour la mezzo), l’entente est excellente et la scène est beaucoup plus vivante que dans ce genre d’albums.
L’extrait de Zigeunerliebe permet de vérifier que les aigus de la mezzo restent d’une extrême facilité (contre-ut conclusif); la mélodie de Balfe met en valeur son legato, le sens du phrasé et le moelleux de son timbre, comme la délicieuse berçeuse de Montsalvatge.
L’orchestre symphonique national de la RAI, dirigé par Karel Mark Chichon – chef principal de l’orchestre national de Lettonie –, donne le change, avec un beau sens des contrastes et de la dynamique, indispensable dans ce type de répertoire. Le choeur est au diapason.
Certains gloseront sur les photos qui cherchent manifestement à attirer le public pour d’autres motifs que la qualité musicale du disque ; on pourra encore songer que, dans la vocalise de Ravel, une Victoria de Los Angeles atteignait une légèreté encore plus profonde ou que, ici ou là, telle ou telle note est à la limite d’être tubée. Mais les qualités de l’artiste sont là et ce disque séduisant lui ressemble encore davantage que Aria Cantilena. Quelques années sont passées, la voix s’est un peu élargie, assombrie même, sans rien perdre de son brillant… et sa capacité à discuter avec Deutsche Grammophon pour imposer ses choix a sans doute augmenté au même rythme que la confirmation de son statut de star.
On a hâte de découvrir la suite : un récital de Lieder est prévu (elle avait, en 2007, signé pour 5 disques chez DG), sans doute autour du thème de la femme ; le défi est de taille !
Jean-Philippe Thiellay
1 Salle Pleyel, 5 octobre 2010, 20h (site de la salle Pleyel)
2 En 2006 et en 2010 (en ligne prochainement)