Attention à ne pas confondre, dans le catalogue de l’Avant-Scène Opéra, les « éditions entièrement refaites » et les « éditions récemment mises à jour ». C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Giulio Cesare de Georg Friedrich Haendel. Un numéro qui, nouvelle maquette exceptée (avec illustrations en couleurs), présente donc peu de différences avec la version précédente, parue en mars 1992 : une discographie et un calendrier actualisés, l’ajout d’une bibliographie et d’une vidéographie. Enfin, une interview d’Emmanuelle Haïm remplace l’histoire de César (le personnage historique pas le héros d’opéra) racontée par Pierre Flinnois.
En dix-huit ans tout de même, la vague baroque, devenue mouvement, a modifié de fond en comble le paysage musical. De cette révolution, Haendel sort le premier vainqueur. Ses opéras sont enregistrés et surtout mis en scène un peu partout dans le monde. Un avantage dont ne peut se prévaloir aucun de ses contemporains – Vivaldi le premier, qui malgré son succès voit ses œuvres scéniques circonscrites la plupart du temps au seul concert. La liste des représentations énumérées par Elisabetta Soldini s’avère à cet égard éloquente : depuis 1992, trente productions sont venues s’ajouter à l’inventaire. De son côté, Pierre Flinois compare vingt-et-un enregistrements contre quatorze auparavant. Est-ce à dire que Giulio Cesare n’a plus de secrets pour nous ? Si le regard sur l’œuvre n’a pas changé, ainsi que le prouve le maintien des articles d’une version de la revue à l’autre, l’interprétation baroque laisse suffisamment de latitude pour qu’en la matière, aucune certitude n’existe et que toutes les propositions soient valables. Cette liberté fait, entre autres, l’intérêt de ce répertoire.
Les chiffres le confirment donc : de tous les opere serie, Giulio Cesare est un des plus populaires (« une des meilleures réussites dramatiques de Haendel » écrit André Lischke en conclusion de son guide d’écoute). Interroger un tel succès revient à lire l’intégralité de la revue. Résumons : un livret consistant, un contexte historique, des personnages multiples fièrement campés (le tout forme ce que André Lischke appelle le « relief psychologique »), un geste politique (exposé brillamment par Sylvie Mamy dans son article « L’Italie au cœur »), une musique admirable, une écriture mélodique qui ne sacrifie jamais au théâtre, une orchestration digne de l’époque romantique et surtout une certaine apogée du bel canto. Glorieux, les héros de Giulio Cesare le sont aussi vocalement. Avec pas moins de huit airs et un arc-en-ciel d’affects, Cleopatra n’a pas fini pas de fasciner les cantatrices, toutes tessitures confondues. Pierre Flinois nous rappelle que Renata Tebaldi et Elisabeth Schwarzkopf interprétèrent « V’adoro, pupille » en des temps où pourtant Haendel faisait figure d’antiquité. Au disque, Magdalena Kozena, mezzo-soprano de son état, est considérée comme une des meilleures titulaires du rôle. En 2011, Natalie Dessay, voix d’essence légère, sera reine d’Egypte sur la scène du Palais Garnier. Ce sont d’ailleurs les représentations de l’Opéra de Paris qui ont motivé la mise à jour de ce numéro. L’interview d’Emmanuelle Haim par Chantal Cazaux y trouve dans ces conditions une place légitime. Entre diverses considérations sur la musique de Haendel, l’interprétation baroque (notamment la préparation des da capo) et son travail avec Laurent Pelly, la directrice du Concert d’Astrée lâche « Prenez Natalie : c’est une Cléopâtre qui fait oublier toutes les Cléopâtre ! ». Vivement l’année prochaine…
Christophe Rizoud