Des thèses ont été écrites sur le Parsifal de Hans Knappertsbusch, en plusieurs langues et sans doute dans tous les alphabets du monde civilisé. Revenir sur le sujet dans le cadre limitatif d’une recension c’est se cogner le front à un exercice de concision particulièrement contraignant. Que dire, brièvement, qui soit édifiant ? Que Knappertsbusch, antinazi véhément, fut accueilli sur la colline tout constellé de ses exploits en 1951 à l’occasion de la réouverture du Festival de Bayreuth. À dater de ce célèbre été, jusqu’en 1964, veille de sa mort, Knappertsbusch revint opiniâtrement sur son Parsifal, en accélérant le rythme, comme talonné par la mort. S’il y a de la pompe et le souvenir du ronflement de Hunding dans le Parsifal de 1951, celui de 1964 est presque allègre. Que dire, aussi, de cet art de diriger dont Gergiev est aujourd’hui le seul héritier et qui consiste à refuser de répéter avec l’orchestre ? On sent bien que les musiciens sont à la fois galvanisés et terrorisés par l’aura du Maestrissimo, on devine leur regard livide, celui du lapin pris dans les phares d’une voiture sur une voie rapide de Kassel. Par la force des choses, les décalages ne sont pas rares, même s’il émane de cette pâte quelque chose qui pourrait relever de la sorcellerie.
Nous sommes ici en 1960. Si Bayreuth a vu défiler sur ses planches échardeuses les plus grands heldenténors, autant dire que le bon Hans Beirer ne compte pas parmi ceux que la mémoire collective n’effacera pas. Le premier acte est un dur moment à passer tant son oisif échevelé peine à trouver ses couleurs et s’il s’installe ensuite dans un lyrisme héroïque de belle facture, on en vient à regretter que Klingsor n’ait pas eu la main plus heureuse en tentant de le poinçonner. Ce n’est pas un hasard si l’Amfortas de Thomas Stewart brille aussi intensément dans la discographie, on peinerait à trouver ailleurs une telle assise dans le dolorisme, les harmoniques rares de ce timbre braisé imprimant au visage du roi pénitent quelque chose d’extraordinairement touchant, quelque chose qui relèverait à la fois de la virilité et de l’affaissement. À côté, le Gurnemanz du mythologique Josef Greindl semble bien vulnérable, usant comme il peut d’un organe abîmé que viennent gâter un vibrato démesuré et une intonation en roue libre. Régine Crespin est une Kundry censément atypique, grande dame, assumant crânement sa fonction matricielle et tournant assez fermement le dos aux exubérances du souillon anathème. Elle est Catherine Deneuve là où Mödl était Annie Girardot. All in all, comme on dit à Bayreuth, cet enregistrement s’écoute avec plaisir, étonnement et une pointe de dévotion.
Hélène Mante