Dommage vraiment que le travail éditorial sur le livret de ce CD laisse un peu à désirer. Ni minutage, ni date approximative d’enregistrement, aucune indication concernant les instrumentistes et les orchestres, texte d’accompagnement plus qu’indigent… Dans ces conditions, « C’est pas la peine chanter si bien », pour reprendre le titre d’une des plages du disque : en effet, à quoi bon nous offrir cet assemblage hétéroclite de morceaux qui ressemble un peu aux fonds de tiroir d’un éditeur qui a déjà consacré au même interprète deux disques autrement plus cohérents ?
Il appartient donc à l’auditeur de partir lui-même à la recherche des informations que le trop maigre livret lui refuse. Sur Daniel Marty, une rapide enquête permet de réunir quelques éléments d’informations : sa carrière démarre en 1957, au Festival d’Aix-en-Provence. Jusqu’en 1989, il chanta en province (Lyon, Toulouse, Bordeaux) et dans les capitales francophones (Paris, Bruxelles). Fondateur de l’Association des amis de Wanda Landowska, il est encore aujourd’hui lié aux activités musicales de Saint-Leu-la-Forêt. Spécialiste de l’histoire du disque, c’est aussi un grand collectionneur de phonographes et d’enregistrements historiques. Ses vieilles cires ayant servi de base à plusieurs publications de la maison Malibran, celle-ci lui renvoie l’ascenseur en publiant à peu près tout ce qu’il a enregistré…
Le disque commence par le monologue de Cadmus qui ouvre le cinquième acte de Cadmus et Hermione. Sans évidemment rapprocher cet enregistrement de l’interprétation autrement plus déliée que donne André Morsch avec le Poème Harmonique, la comparaison tourne à l’avantage de Daniel Marty si on le rapproche de la version grandiloquente qu’en laissa jadis Gérard Souzay. De Rameau, l’on entend ici l’intégralité de la cantate Thétis. On apprécie une diction impeccable et une certaine agilité, même si l’on préfère aujourd’hui une interprétation moins empesée de ce répertoire.
C’est sans doute sur scène que le talent de Daniel Marty trouvait pleinement à s’épanouir : avec sa vélocité et ses effets de bruitage, l’ariette de Philidor convient parfaitement à celui qui fut apparemment un grand Figaro du Barbier. De même, la version très opératique de « Ma Belle Amie est morte » qu’a composée Gounod possède un charme mélodique qui lui va comme un gant, avec ses « Que mon sort est amer » vibrants. Pour les deux extraits des Nuits d’Eté, outre l’incongruité de cette fragmentation, on sait que Berlioz avait composé son cycle pour un ténor ou une mezzo-soprano, et non pour une voix grave masculine, qui semble parfois peiner à en varier les climats (sans parler de e muets un peu trop appuyés). Des deux Saint-Saëns, c’est dans « Le Pas d’armes du roi Jean » que Daniel Marty trouve à le mieux à déployer sa verve.
Les trois mélodies de François Schubert… eh oui, on ose à peine parler de lieder de Franz Schubert lorsqu’on les entend ainsi métamorphosés, et nos oreilles ont du mal à écouter sereinement ces histoires de « fleurettes » (« Trockne Blumen », de Die Schöne Müllerin). Grâce à la sobriété de l’interprète, « Der Doppelgänger » garde de sa véhémence et sa densité ; « Erstarrung », du Winterreise, pâtit en revanche d’une trop grande uniformité dans la déclamation. Quant à « Die Lotosblume », de Schumann, on a davantage l’habitude de l’entendre chanté par des sopranos.
Les douze dernières plages constituent une authentique découverte, destinée aux amateurs de la mélodie française du xxe siècle dans son versant le plus traditionnaliste. Là encore, l’auditeur est contraint de partir à la recherche d’informations s’il veut en savoir plus sur ce Georges Migot que le livret présente de manière excessivement laconique et floue : « Homme de culture… né au XIXe siècle … Le catalogue de ses œuvres est important ». Mais encore ? Après enquête – un site dédié au compositeur a été créé à l’occasion de trentième anniversaire de sa mort, en 2006 –, ledit Migot (1891-1976) s’avère avoir été l’élève de Charles-Marie Widor et de Vincent d’Indy, entre autres. « Autodidacte impénitent » selon Florent Schmitt, il composa surtout de la musique de chambre et des pièces religieuses. Il écrivit lui-même le texte archaïsant de ses Chansons de bord, puis en composa la musique en mai 1950 ; la création eut lieu en décembre 1951, et Migot les orchestra pour quintette à cordes en 1955. Il s’agit ici de la version pour piano, le titre de chaque pièce étant annoncé par une sorte de récitant, comme sur les enregistrements de la Belle-Epoque… Ce sont donc d’authentiques mélodies, alternant vaillance, humour et introspection douloureuse ; si l’imaginaire de la mer y est présent, elles renvoient non aux chansons bretonnes de Théodore Botrel, également enregistrées par Marty et republiées par Malibran, mais plutôt à des « marins-compositeurs » comme Jean Cras ou Albert Roussel.
« Si ne trouvez pas bien ces chansons de marin » (titre du dernier des Chants de Bord), voilà un disque qui n’est peut-être pas indispensable.