La carrière sur scène du ténor français d’origine espagnole Tony Poncet (1918-1979) peut à bon droit être qualifiée d’atypique : par la relative brièveté de son répertoire (une petite douzaine de rôles), par sa relative brièveté mais aussi par sa relative discrétion sur les scènes parisiennes. Deux explications sont généralement avancées : la petite taille de Tony Poncet a pu, à l’évidence, constituer un handicap et lui barrer l’accès à certaines productions. Mais elle seule n’explique pas tout : une mémorisation défaillante, une certaine nonchalance dans l’apprentissage des rôles, à l’origine de certaines « libertés » assez peu orthodoxes, cette réputation de « sauvageon » (pour reprendre le mot de Roland Mancini dans l’excellent texte d’accompagnement du disque) ont compté aussi et expliquent que l’on retient finalement de cette carrière autant ce qui y figure que ce qui aurait pu y figurer.
Avec ce CD Malibran, on dispose d’un reflet assez fidèle de la voix et de la carrière de Tony Poncet : ne manquent que des extraits d’Arnold, de Guillaume Tell, et de Canio, de Paillasse, ses deux rôles fétiches, pour que le panorama soit complet.
Tel quel, ce mélange d’airs d’opéras français (L’Africaine, Les Huguenots, La Juive), italiens (Rigoletto, le Trouvère, Otello) et de mélodies populaires espagnoles et italiennes permet d’apprécier un timbre assez sombre tendant vers le spinto, ne manquant pas de séduction, et qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui de José Luccioni, de quinze ans l’aîné de Tony Poncet. Ce timbre, il faut le souligner, est très également réparti sur l’ensemble de la tessiture et les registres sont parfaitement reliés entre eux, jusqu’à un aigu somptueux, idéalement mixé, dont on conçoit qu’il ait pu fortement impressionner le public de l’époque, habitué à des ténors au timbre plus fluet.
Cette voix apparaît particulièrement adaptée au répertoire français qui figure dans ce récital. Elle l’est plus inégalement aux airs verdiens présents ici (tous dans leur traduction française) : si l’air de Rigoletto frise le contresens, la « Pira » (« Supplice infâme ») convainc davantage. L’air d’entrée de Radamès semble mieux convenir à la voix de Poncet, mais il met en valeur un des travers du chanteur : une palette expressive assez limitée (on guettera en vain le diminuendo prescrit par Verdi à la fin de « Un trono vicino al sol »…) et une tendance prononcée à tout chanter entre le mezzo forte et le forte.
Si elle peut lasser par ailleurs, cette expression monolithique convient parfaitement au rôle d’Otello et on tient, avec toute la fin du II (depuis « Desdemona rea »), chantée en français avec René Bianco, merveilleusement insinuant en Iago, le sommet du disque. Cet extrait, enregistré live à l’aube des années 1960 (on entend grincer les planches de la scène !), propulse l’auditeur à des sommets de vérité dramatique et musicale peu communs. Un absolu succès !
Le reste s’écoute sans déplaisir, qu’il s’agisse des mélodies méditerranéennes, qui invitent Tony Poncet à exhiber avantageusement son aigu phénoménal, (cet aigu qui a conduit certains commentateurs de l’époque à voir en lui la réincarnation de Gilbert Duprez !), ou bien d’une Marseillaise vibrante et engagée, qui permet à Tony Poncet (dont le comportement héroïque pendant la Seconde guerre mondiale lui a valu la médaille militaire et la Croix de Guerre) de faire retentir les « mâles accents » mis en musique par Leconte de Lisle. Ce matériau vocal en remontre définitivement aux plus grands : il n’en rend que plus amers les regrets que laisse une carrière qui, de par les circonstances, n’a pas été ce qu’elle aurait dû être.
Julien MARION