Haydn retrouve peu à peu le chemin des scènes lyriques, après avoir été longtemps réduit à un compositeur de symphonies et d’oratorios. Depuis la série d’opéras enregistrés par Antal Dorati dans les années 1970,les tentatives se multiplient pour redonner vie à ses œuvres scéniques, pas toutes inoubliables, mais jugées à la portée de chanteurs moins aguerris que n’en exige le chant mozartien. Et surtout, le rapprochement avec les gloires du passé semble plus facile à éviter. Ces derniers temps, bicentenaire aidant (Haydn est mort en 1809), on a ainsi pu voir plusieurs jeunes cantatrices se livrer à l’exercice du récital Haydn. Là où Nurial Rial misait sur la tendresse candide, et Anna Bonitatibus sur l’ardeur sarcastique (toutes deux chez Deutsche Harmonia Mundi), Jane Archibald opte pour la pure virtuosité. Il s’agit du premier disque de cette soprano née au Canada, jusqu’ici surtout connue pour s’être substituée à Natalie Dessay, d’abord en Ophélie au Met, puis en Cléopâtre à l’Opéra Garnier – avec, sur sa consœur, l’avantage de pouvoir se dispenser de la prothèse mammaire voulue par Laurent Pelly pour donner plus de séduction à l’héroïne haendelienne…
Le disque s’ouvre sur l’air de Genio (et non d’Eurydice, comme l’indique le livret) dans L’Anima del filosofo, l’œuvre lyrique la plus fascinante de Haydn. Contrairement à la plupart de ses autres titres, cet opéra jamais représenté du vivant du compositeur s’avère très riche sur le plan dramatique. Lorsqu’elle interpréta le rôle d’Eurydice sur scène, Cecilia Bartoli laissa ce morceau de bravoure à l’interprète à qui il revient selon le livret, mais pour mieux se l’arroger dans l’enregistrement qui suivit. L’aria d’Eurydice, à peine moins virtuose, montre Jane Archibald un peu à court d’émotion, par rapport à sa plus illustre aînée (même sans remonter jusqu’à Maria Callas, créatrice du rôle en 1951, ou à Joan Sutherland). La voix est agile et agréable, même si l’on pourra noter ici et là une petite acidité dans le suraigu. Les brusques plongées dans l’extrême grave de la tessiture sont assumées en studio ; il n’est pas sûr qu’elles le seraient autant à la scène.
Les airs tirés de L’Isola disabitata ou du Mondo della luna permettent moins le jeu de la comparaison, la chanteuse a suffisamment d’expérience pour faire vivre un récitatif. Avec Orlando Paladino, Jane Archibald se retrouve pourtant face à une rivale de taille : Patricia Petibon, qui a enregistré une intégrale de cet opéra sous la direction de Nikolaus Harnoncourt. Plus encore qu’en termes de matériau vocal proprement dit, c’est par les ressources expressives que la Canadienne arrive en seconde position. Du reste, le chant n’occupe réellement que quarante minutes sur ce disque, trois plages étant réservées à des ouvertures d’opéra, dans lesquelles l’auditeur aura l’occasion d’apprécier la belle pâte orchestrale de l’OSB, conduit avec un certain sens dramatique par le jeune Thomas Rösner.
Laurent Bury