L’unique raison d’acquérir ce coffret figure –fort opportunément- en photo sur sa couverture : cette captation tirée des archives du MET, rééditée par Sony Classical dans un remastering soigné, permet en effet d’entendre le couple Leontyne Price/Franco Corelli quelques jours après ses débuts fracassants sur la scène du MET dans ce même Trouvère (c’était le 27 janvier précédent).
On comprend –et on partage- l’enthousiasme frénétique du public new-yorkais pour les prestations des deux jeunes premiers du moment.
Leontyne Price met au service de Leonora son timbre pulpeux, soyeux, crémeux, à l’aigu radieux et à la fraîcheur alors inentamée : c’est assez irrésistible. Certes, la technique belcantiste, encore très présente dans le rôle, est des plus approximatives, et on ne doit pas s’attendre à des vocalises d’un fini impeccable. Pour cela, de toute façon, voir Callas, ou Gencer. Certes, le grave et le bas medium sonneront toujours bizarrement chez Price : on a parfois l’impression d’entendre, au sein d’une même phrase, Renée Fleming et Ella Fitzgerald. Mais enfin : le reste est tellement somptueux ! « D’amor sull’ali rosee », au phrasé hypnotique, est un pur moment de grâce. Le public exulte : nous aussi.
Franco Corelli n’est pas en reste, très « jeune premier ». C’est en fait le lirico spinto par excellence, celui qui convient idéalement au personnage de Manrico. C’est bien simple : il a tout. Un timbre en or, tranchant sans être jamais agressif, également réparti sur l’ensemble des registres –un grave qui existe, un medium qui rougeoie, un aigu qui étincelle. Ne lui manque –et encore, de manière toute relative- que le style suprêmement châtié que son contemporain Carlo Bergonzi portait haut. Non tenu en laisse par un chef attentif, le chant de Corelli n’est en effet pas exempt de certaines facilités, de celles dont le public new-yorkais semble raffoler. Mais pour quelques ports de voix un brin complaisants, combien de moments de pure gloire vocale ! Que l’on écoute le diminuendo qui précède « Ah si ben mio », la franchise désespérée de « Deserto sulla terra », ou bien les accents déchirants du duo final.
Autour de nos deux héros, on retombe dans la peu glorieuse routine du MET.
En Azucena, Irene Dalis n’a à offrir qu’une quinte aigue robuste et un engagement sincère. Le reste est assez médiocre : ça poitrine beaucoup, la justesse n’est pas toujours au rendez-vous, et les dérapages expressionnistes tirent souvent le personnage vers le grand guignol. Une mauvaise Kundry ne fait pas une grande Azucena.
Il y a peu à dire du Luna bien terne de Mario Sereni, dont c’est le seul témoignage discographique dans cette œuvre. Il fait partie de ces chanteurs qu’on oublie aussitôt après les avoir entendus. L’incarnation est assez primaire : « Il ballen » n’est que fort, le duo avec Leonora au IV bien sommaire.
L’ensemble est handicapé par la direction bien peu inspirée de Fausto Cleva, baguette à tout faire du MET des décennies 1940, 1950 et 1960. A rebours de l’adage, le maestro confond vitesse et précipitation : on a plus d‘une fois l’impression que les chanteurs lui courent après –à moins que ce ne soit l’inverse. C’est patent dans les ensembles. Au moins le chef lève t-il le pied pendant les grands numéros de nos deux stars, leur permettant de déployer leurs sortilèges. Mais enfin : Le Trouvère ne se dirige pas comme Attila ou la Bataille de Legnano.
Quand on sait que l’année d’après, à Salzburg, notre couple vedette se retrouve mieux entouré et surtout porté par la baguette autrement plus inspirée (et vigilante) de Karajan, on réservera cette publication à l’intérêt documentaire aux inconditionnels de Price et Corelli : ils y trouveront assurément de quoi entretenir leur culte.