C’est en 1964, à Stuttgart, que fut créée cette œuvre du compositeur que beaucoup appellent « le nazi ». Orff y travaillait depuis près de cinquante ans, et comptait bien y transcender les limites propres à l’opéra, au ballet et au théâtre pour aboutir à une œuvre mêlant toutes les possibilités des arts vivants, et en associant à l’orchestre en fosse des musiciens sur scène et une bande enregistrée. Monté lors de l’édition 2009 du Festival Carl Off à Andechs (le compositeur est inhumé dans l’Abbaye de ce village bavarois), Ein Sommernachtstraum est un « Schauspiel mit musik », aussi loin de The Fairy Queen de Purcell que du Midsummer Night’s Dream de Britten. Il ne s’agit pas d’un opéra, mais d’une musique de scène destinée à accompagner la représentation en allemand du chef-d’œuvre de Shakespeare, dont le texte intégral est respecté, mais dont les cinq actes sont ici réduits à neuf scènes.
La distribution n’inclut donc que des acteurs, à l’exception de quelques passages choraux interprétés par d’authentiques chanteurs. Comme Mendelssohn, Orff confie à un chœur de fées la charge de veiller sur le sommeil de Titania (« You spotted snakes » en VO). Il les fait aussi gazouiller et bourdonner pendant l’ultime monologue de Puck, dans un passage curieux qui est peut-être le plus intéressant de la partition. Pour tout le reste, le compositeur utilise de préférence le mélodrame, pour soutenir les plus beaux passages du texte shakespearien (dialogue de Lysandre et Hermia au premier acte, affrontement d’Obéron et de Titania au deuxième), mais il fait parfois chanter les acteurs. Les artisans qui montent leur pièce de théâtre chantent des « lalala » à leur entrée en scène, sur des flonflons dignes d’une musique de cirque, qui leur donnent un peu l’air des nains de Blanche-Neige rentrant du boulot. Comme le prévoit Shakespeare, Bottom chante (délicieusement faux) à plusieurs reprises.
La musique, on ne s’en étonnera pas, sonne à plusieurs reprises comme les Carmina Burana (« Si puer cum puellula » est explicitement cité), tantôt triomphale pour les apparitions du roi Thésée, avec sonneries de trompettes, tantôt mystérieuse, avec des cors et une machine à vent pour évoquer la forêt et ses sortilèges. La partition a souvent recours aux percussions, de préférence exotiques. Beaucoup d’ostinatos, de longues notes tenues comme arrière-plan pour les voix parlées. Orff a aussi composé quelques morceaux purement orchestraux, notamment un « Mondaufgang », avec citation de la rencontre d’Octavian et Sophie dans Le Chevalier à la rose, et une « Marsch » célébrant le triomphe d’Eros, qui se substitue à la trop connue marche nuptiale de Mendelssohn. Dommage que l’on chante si peu dans tout ça !