Entamée en 2009, l’excellente collection Czech Opera Treasures du label Supraphon se poursuit avec Tajemství [Le Secret], opéra de Bedřich Smetana écrit en 1877-78 sur un livret d’Eliška Krásnohorská (1847-1926), auteur féministe et fidèle collaboratrice du compositeur. S’il espérait un succès comparable à celui de La Fiancée vendue, le « père de la musique tchèque » déchanta très vite – et pourtant, comme le remarquait justement en 1901 son défenseur Otakar Hostinský dans le livre Bedřich Smetana a jeho boj o moderní českou hudbu [Bedřich Smetana et son combat pour la musique tchèque moderne], le compositeur atteint ici « le sommet de son écriture dans le registre de la comédie, quelque chose de comparable à Libuše dans le domaine sérieux* ». La partition ne fut jouée qu’une douzaine de fois entre sa création et la mort de Smetana (six ans plus tard) pour ne revenir au répertoire du Národní divadlo [Théâtre national de Prague] qu’en 1922.
S’il n’est pas le plus original de l’histoire de l’opéra, l’argument offre au musicien plus de possibilités qu’il n’y paraît. La pièce s’ouvre sur un duo entre Bonifác à Róza Malina au sujet du refus de cette dernière d’épouser l’échevin Kalina vingt ans plus tôt en raison de la différence de statut social qui les éloignait alors. Après s’être marié une autre femme, le conseiller municipal, aujourd’hui veuf et riche, fait construire une maison en face de celle de la famille Malina. De leur côté, Vít, fils de Kalina, et Blaženka, nièce de Róza et fille de l’échevin Malina (rival politique du précédent), s’aiment en secret. Au cours d’une bagarre sur le chantier de la maison, une poutre se brise et Kalina y découvre une carte au trésor laissé là par Barnabáš, prêtre désormais décédé. Endetté à cause des travaux (entrepris pour impressionner Róza, qu’il n’a jamais cessé d’aimer), Kalina décide de suivre les instructions de Barnabáš afin de trouver l’or et de se renflouer. La liaison de Vít et Blaženka entre-temps découverte, Kalina est sur les traces du trésor lorsque, explorant un tunnel sous la maison de Róza, il entend Vít faire ses adieux sa jeune amoureuse interdite. Kalina comprend que le trésor « secret » que voulait lui révéler Barnabáš n’était autre que la préciosité de cet amour autrefois défendu pour Róza. Il se résout donc à demander à son rival la main de sa sœur pour lui-même et celle de sa fille pour Vít. La requête est acceptée par Malina.
Musicalement, l’œuvre est (presque) entièrement basée sur un motif présenté dès le début de l’ouverture (monothématique) et exploité tout au long des 3 actes. Sans « premier(s) rôle(s) » à proprement parler, l’équilibre dramaturgique de cette partition complexe repose sur la troupe au grand complet et laisse une large place au chœur (acte I et III) et aux ensembles (un sextuor avec chœur, deux septuors, un octuor, etc.). La richesse de la pièce est d’autant plus admirable que Smetana était déjà complètement sourd à l’époque où il le composa. A la recherche de l’opéra comique moderne parfait depuis les années passées à Weimar, le musicien atteint ici en partie son but.
Si elle met souvent l’orchestre au second plan, la prise de son mono de 1953 a plutôt bien vieilli. Elle projette un éclairage relativement flatteur sur des chanteurs qui font de l’intelligibilité du texte une priorité. Mis à part le Bonifác de Vladimir Jedenáctik, dont la sécurité d’intonation n’est pas toujours optimale, le plateau est d’une qualité exemplaire et d’un équilibre idéal (l’octuor de l’acte II suffit à s’en convaincre). A côté de Karel Kalaš et Přemysl Koči (incarnant respectivement de très solides Malina et Kalina), le couple Blaženka – Vít est d’une fraîcheur attendrissante – entendez le séducteur Ivo Židek, amoureux transi très convaincant. Špěpánka Štěpánová est de son côté une Róza fort charismatique. L’intelligente direction de Jaroslav Krombholc se pose en véritable moteur de l’action et apparaît comme un facteur important de la réussite de cet enregistrement essentiel. Il est uniquement dommage que le texte chanté et sa traduction ne soient pas mis à disposition (même sous la forme d’un fichier PDF comme c’était le cas pour les premiers volets de la collection). Cela ne contribuera malheureusement pas à une indispensable meilleure diffusion de cette perle d’opéra hors des cercles habituels d’initiés et de tchécophones.
*O. Hostinký, Bedřich Smetana a jeho boj o moderní českou hudbu, Nakladem Jana Laichtera, Prague, 1901, p. 419