Le Docteur Miracle, ce petit bijou de Bizet, n’était jusqu’ici disponible que dans l’enregistrement réalisé en 2002 (BNL Lubella), avec une distribution mi-francophone (le couple Pierre-Yves Pruvôt/Hjördis Thébault), mi-exotique (Olga Pasychnik, Yannis Christopoulos). Les dialogues parlés en étaient exclus, mais cela permettait d’avoir plus de musique sur le CD. Le concert donné en 1976 à la Maison de la Radio, déjà publié par diverses firmes, offre en revanche Le Docteur Miracle, rien que Le Docteur Miracle, mais aussi tout Le Docteur Miracle. Les dialogues avaient été confiés à d’excellents acteurs de la Comédie-Française, dont le livret massacre allègrement le nom : René Camoin devient ainsi René Camion (!) et il est vraisemblable que « Claire Viret » soit en réalité Claire Vernet. Pourtant, le texte ne sonne pas toujours beaucoup plus naturel que s’il était dit par des chanteurs ! L’interprète de Véronique ne semble guère investie dans son personnage, au contraire de ses camarades, qui y mettent une certaine conviction, Alain Pralon et Catherine Salviat en particulier. Et après tout, les chanteurs ici réunis avaient l’habitude de l’opéra-comique, voire de l’opérette (Corazza était à la même époque Pâris de La Belle Hélène), ils auraient donc été tout à fait capables de dire leur texte.
On trouve dans deux des quatre rôles la fine fleur du chant français de l’époque. Dans les années 1970, Christine Eda-Pierre et Robert Massard étaient souvent réunis : dans Le Barbier de Séville, Rigoletto, Les Puritains… La première est un luxe absolu en Laurette, loin des voix acides auxquelles on confie parfois ce rôle (voir Pasychnik dans la version de 2002). Le timbre est somptueux, à l’aise dans l’aigu (Eda-Pierre était alors une grande Konstanze de L’Enlèvement au sérail), comme dans le grave, le style est impeccable, et la musique du jeune Bizet, où l’on reconnaît déjà le compositeur de Carmen, est admirablement servie. Le second est idéal dans le rôle du Podestat, auquel sa verve et sa pointe d’accent méridional ajoutent un peu de sel, et où son baryton dramatique donne tout son prix à la parodie de grand-opéra du célèbre Quatuor de l’Omelette. Hélas, les deux autres membres de ce quatuor sont loin de planer sur les mêmes hauteurs. Reflet de la disette qui sévissait alors en matière de ténors français, Rémy Corazza n’a pas la plus belle des voix mais par bonheur, la partition n’exige pas grand-chose du ténor, sauf dans le duo « En votre aimable compagnie », où Corazza se réfugie un peu trop dans le falsetto, face à sa partenaire qui le domine haut la main. En Véronique, Liliane Guitton ne séduit guère : sa diction molle et son timbre sans saveur compromettent à plusieurs reprises l’équilibre des ensembles. L’orchestre ne brille pas par sa légèreté, et l’expérience de la scène manque ici cruellement ; malgré tout le bien que le livret nous dit de Bruno Amaducci, il n’est pas sûr que le répertoire français ait été son terrain d’élection. Cela dit, la prise de son n’arrange peut-être pas les choses (les premières secondes de l’enregistrement semblent arriver de très loin, certains passages sont comme étouffés). L’omelette n’est sans doute pas parfaite, mais elle est savoureuse, bien de chez nous, comme on n’en fait plus en ces temps de mondialisation du chant.