Anne de Bretagne, épouse de Louis XII, meurt le 9 janvier 1514 à Blois. Commencent alors quarante jours de funérailles narrés par Pierre Choque dans son récit manuscrit Commémorations et advertissement de la mort d’Anne de Bretagne.
Le corps embaumé de la reine, tant aimée des Bretons pour avoir réuni le duché de Bretagne à la France, est d’abord exposé six jours dans sa chambre du château de Blois puis deux jours dans la Salle d’honneur. Puis le corps est enveloppé et déposé dans un cercueil de plomb. Pendant douze jours, il est présenté dans la Salle des douleurs, tendue de noir. Quatre messes sont alors dites quotidiennement, dont une de Requiem. Le 3 février, le convoi s’ébranle vers la basilique de Saint-Denis, ultime demeure. Huit jours de voyage, huit étapes où le corps, déposé dans une église, est présenté à l’adoration et la lamentation des sujets de France. Le convoi arrive à Paris le 12 février. Le 14 février est célébrée une messe à Notre-Dame de Paris, où est dressée une chapelle ardente de mille deux cent cierges, cependant que trois mille huit cent cierges brûlent dans la cathédrale. Le cortège enfin rejoint Saint-Denis, son terme. Le cœur de la reine sera déposé dans un reliquaire d’or et ramené à Nantes.
La musique est très présente pendant ces cérémonies. Blois compte alors une chapelle du roi et une chapelle de la reine, qui toutes deux chantent un Requiem, ou Missa pro defunctis. Ces chapelles, nous dit Denis Raisin Dadre, puisent dans le répertoire existant. Parmi eux, entre autres, figurent le Requiem de Prioris et celui de Févin, élève de Josquin Desprez et mort en 1512. Nul n’est certain que le Requiem de Févin fut donné à cette occasion. C’est cependant hautement plausible. Pour recréer le climat de ces funérailles grandioses, Raisin Dadre ajoute à cette œuvre des pièces de Pierre Moulu, Josquin Desprez et Costanzo Festa, contemporains de l’événement et actifs à la cour de France.
Denis Raisin Dadre traite la messe de Févin avec une douce sobriété, une austérité que tempère la suavité des sacqueboutes, mêlant la sincérité de la déploration à la nécessaire sévérité du décorum. Mais le terme qui revient le plus à l’écoute de cette œuvre est dignité. La plasticité sereine de la ligne de chant, la profondeur douloureuse, ne sombrent à aucun moment dans les spasmes de la mort. Toujours règne une tenue supérieure, une retenue fière. Où la pièce de Costanzo Festa laisse percer l’expression extériorisée du deuil, le Requiem de Févin nimbe la mort d’une lumière presque rassurante contrastant certainement avec les cris de douleur qu’il était alors d’usage de manifester, comme le raconte Pierre Choque (« maintz pleurs, cris et lamentacions ce firent les bons seigneurs et dame sur cette noble princesse »), selon une manière qui certainement ne se voit plus que dans les pays méditerranéens. Ce pathos ne contamine pas la musique de Févin, qui apaise et retient ses larmes. Denis Raisin Dadre a cependant eu la riche idée, en prologue, de nous offrir par la voix de Yann-Fañch Kemener le chant rude des Bretons éplorés.
La douceur infinie de cette musique, son élévation, sont celles d’un sublime familier, d’une compagnie quotidienne avec la mort, accueillie avec confiance et quiétude. Merci de la jouer à mon enterrement.