Ferruccio Busoni, le plus germanique des compositeurs italiens, mourut avant de mettre le point final à son quatrième opéra, Doktor Faust. C’est donc à son élève Philipp Jarnach (1892-1982) qu’il revint de terminer l’œuvre en vue de sa création à Dresde, en 1925. Avant que le compositeur et musicologue Anthony Beaumont ne retravaille la partition dans les années 1980 (en en modifiant notamment la fin), la pièce avait déjà fait l’objet d’une version de concert réalisée par Adrian Boult -avec Dietrich Fisher-Dieskau en « consultant » de luxe. Elagué à la tronçonneuse, l’opéra s’y voyait amputé d’une (très) grosse moitié de sa substance – selon que l’on se réfère aux éditions de Jarnach ou Beaumont – pour être bouclé en une heure et quart radiodiffusée par la BBC le soir du 13 novembre 1959. Pour ceux que ce massacre n’effraie pas (des dix-sept rôles originels, il n’en reste que cinq !), l’interprétation de l’ « arrangement » en question vaut l’achat de sa gravure proposée aujourd’hui par le label de l’Orchestre Philharmonique de Londres (LPO).
Grâce à sa sécurité d’intonation et à son charisme exceptionnel, Fischer-Dieskau impressionne sans toutefois faire complètement oublier qu’il a également enregistré le rôle de Faust dans la version de Jarnach (plus complète) une dizaine d’années plus tard (DG). Richard Lewis campe un Méphistophélès qui n’a vocalement peur de rien (son entrée est plutôt spectaculaire) tandis que Ian Wallace est un Wagner de grande envergure. Egalement de très bonne tenue, le couple des Duc et Duchesse de Parme (respectivement Heather Harper et John Cameron) ne démérite jamais. Outre l’aspect purement technique, le plateau vocal emporte l’adhésion car, de cette captation de concert scéniquement statique mais dramatiquement engagée, émane un véritable élan musical. Et la direction d’Adrian Boult de jouer un grand rôle dans cette réussite. Si l’on sait que la gestique du chef était en général réduite au strict minimum et qu’il peinait parfois à galvaniser ses musiciens, il se montre ici conscient des enjeux dramaturgiques de l’écriture (notamment harmonique) de Busoni et parvient à électriser l’orchestre en se servant des montées de tensions pour reprendre la main aux moments opportuns. Une véritable leçon pour les apprentis chefs d’opéra (et les autres) !
Pour autant, on peut difficilement considérer cette édition comme incontournable – d’autant que le libretto n’est pas fourni ni, bien sûr, sa traduction. Elle est tout au plus un document intéressant témoignant d’une époque révolue faite de chanteurs à la carrure impressionnante et de coupures éhontées. Il est plus sage de recommander ce disque aux collectionneurs, aux fans de Fischer-Dieskau et à tous les curieux possédant déjà l’enregistrement de Kent Nagano avec Dietrich Henschel dans le rôle titre (Erato). C’est uniquement après avoir écouté celle-là (qui propose les deux fins de Jarnach/Beaumont) que l’on se plongera dans celle-ci…