Reconstituée en pasticcio par Jean-Claude Malgoire en 1992, retrouvée dix ans après dans les archives de la Sing-Akademie de Berlin, la partition de Motezuma fut complétée par Alessandro Ciccolini et enregistrée en 2006 par Alan Curtis, qui a les moyens de s’offrir toutes sortes de caprices grâce à celle qu’il appelle « my friend Donna Leon ». Pour la résurrection scénique, on a beaucoup sabré dans les récitatifs, tant dans ceux composés par Ciccolini que dans ceux qui sont du pur Vivaldi, et même dans les arias.
Le spectacle de Stefano Vizioli se laisse regarder, sans plus. Dans un décor jonché de cadavres, s’agitent des personnages en costumes historiques ou exotiques. Le metteur en scène fait ce qu’il peut pour occuper l’espace pendant les da capo, avec une bonne vingtaine de figurants. Le socle qui occupe la scène tout au long du spectacle, censément destiné aux rites sanglants des Aztèques (merci au décorateur de nous l’expliquer dans le bonus) finit par devenir une énorme croix surplombant la scène, image de l’aliénation infligée aux « sauvages » par le biais de la religion catholique. Quant à la distribution, elle est dans l’ensemble correcte, mais il y manque ces monstres vocaux qui semblent aujourd’hui indispensables pour redonner vie aux opéras de Vivaldi. De plus, c’est sans doute une mauvaise idée que de faire interpréter certains airs sur la passerelle séparant l’orchestre du parterre, car les voix s’y dispersent (ou bien les micros sont très mal placés).
Seul revenant de l’enregistrement dirigé par Alan Curtis (Archiv, 2006), la basse Vito Priante est un Motezuma vocalement et scéniquement très convaincant, en souverain humilié, aux abois. Dans l’air désormais bien connu « Dov’è la figlia ? », il livre quelques aigus glorieux. Son épouse Mitrena, rôle destiné à la légendaire Anna Girò, peine à susciter l’enthousiasme. Ce n’est pas que Mary-Ellen Nesi chante mal, loin de là, mais le personnage n’a rien de cette Lady Macbeth vivaldienne qu’évoquent les défenseurs du livret. Dans le DVD d’Ercole sul Termodonte, dirigé par le même Alan Curtis, une mise en scène scabreuse faisait de la mezzo grecque un sex-symbol en cuissardes dorées dans le rôle d’Antiope, mais Mitrena paraît ici bien trop sage, dans son chant comme dans son allure. Leur fille Teutile est campée par une fragile mais touchante Laura Cherici (elle avait déjà Mary-Ellen Nesi pour mère dans Ercole). Gemma Bertagnolli en Asprano, l’un des deux rôles initialement écrits pour un castrat soprano, s’autorise quelques incursions acides dans le suraigu en guise d’ornementation lors des reprises. Son costume « mexicain » (longue robe et coiffe emplumée) ne l’aide malheureusement pas à être crédible dans un rôle masculin, et ses gestes, qui se voudraient farouches et guerriers, ne sont que ridicules. Totalement crédible en revanche, dans les habits de Fernando (Hernàn Cortès), l’autre rôle de castrat, la magnifique Franziska Gottwald qu’on avait déjà pu admirer dans L’Olimpiade de Galuppi, où elle campait un formidable Licida. Elle allie ici une autorité vocale impérieuse à un timbre et à un physique androgynes. Theodora Baka, l’autre mezzo grecque de la distribution, compose un solide Ramiro.
Direction métronomique, imperturbable d’un Alan Curtis incapable d’assouplir sa battue. Tout cela manque cruellement de folie, d’abandon. Un bonus de vingt minutes laisse la parole aux différents protagonistes (y compris le claveciniste et le théorbiste, les assistants à la mise en scène et à la chorégraphie): on y entend notamment le chef s’y exprimer en italien avec un accent américain à couper au couteau.
Au total, rien d’indigne, mais rien de bien exaltant non plus. Par-delà la qualité de la direction et de la distribution se pose une autre question : pourquoi s’acharner à vouloir monter un Vivaldi qu’on ne connaît que de façon fragmentaire, alors qu’il existe tant d’autres partitions intégrales ? A cause du livret, sans doute : ces conquistadors, cet empire anéanti, tout ça devrait marcher. Sauf que non, pas vraiment. Surtout, côté musique, Vivaldi a fait mieux, beaucoup mieux. Alors attendons : quand le chef et le metteur en scène ad hoc seront réunis, Vivaldi devrait bien un jour avoir son Atys.