Il est toujours intéressant de revoir en vidéo un spectacle déjà vu sur scène (cf. notre compte rendu), et on ne peut s’empêcher de faire quelques comparaisons. Dans le cas présent, on ressent une impression mitigée qui tient à plusieurs facteurs.
Mais tout d’abord les deux points les plus positifs. Béatrice Uria Monzon, peut-être en légère méforme le soir de la première où elle paraissait très froide, est ici extraordinaire. C’est la grande classe. Profondément humaine et naturelle, elle promène à travers la scène un ennui distingué dès que l’un de ses amants ne lui plait plus ; les gros plans la servent tout particulièrement, qui captent la moindre de ses expressions, et tout cela sans une once de vulgarité, on est loin des harengères de service… Elle est totalement entrée dans la mise en scène, et montre qu’après avoir joué ce rôle dans tant de productions diverses, pendant plus de vingt ans, elle reste l’une des meilleures Carmen, même si son premier air est toujours un peu dur à mettre en route. Le second point fort de la production est constitué par la mise en scène torride de Calixto Bieito, qui laisse libre cours au côté animal des protagonistes : même Micaëla esquisse un baiser sur la bouche de don José, c’est dire !
Roberto Alagna est moins à l’aise que le mois précédent : toujours cet air de ne pas tout comprendre, et de penser à autre chose. Il joue avec ses bras et ses jambes, mais pas avec son cerveau ni avec ses tripes. Mais il est bien intégré dans la mise en scène, et comme toujours il nous offre de forts beaux moments vocaux malgré un air de la fleur très en dessous de ses possibilités. Erwin Schrott chante un peu n’importe quoi dans un français approximatif, mais il est beau gosse, et ça plaît aux bohémiennes. Quant à Marina Poplavskaya, elle campe une Micaëla peu intéressante, à la curieuse technique, avec un vibrato sur les notes aigues. Les autres protagonistes sont dans l’ensemble corrects, même si Eliana Bayón et Itxaro Mentxaka (Frasquita et Mercedes) sont globalement moins bonnes à l’écran qu’à la scène. Marc Canturri et Francisco Vas (le Dancaïre et le Remendado) s’en sortent plutôt bien, de même que le reste de la troupe.
La direction de Marc Piollet est vive et nerveuse, et les choristes et les figurants sont tous absolument épatants. Il est donc d’autant plus dommage que l’on soit frustré par trop de coupures inacceptables, et par un nombre record de fautes de mesure et de notes approximatives pour ne pas dire plus de la part des solistes. Cela montre, dans le cas présent, les limites de l’exercice de la captation directe, d’autant plus qu’il s’agit d’une œuvre hyper connue que tout le monde fredonne. Enfin, le film est une simple transcription du spectacle, et ne constitue en rien une œuvre originale, avec trop de plans de face, et des morceaux de cadre de scène qui, de plus, viennent troubler la vue. Brochurette de douze pages en trois langues, sous-titres en sept langues, aucun bonus. Bref, une vidéo intéressante pour Uria-Monzon et la mise en scène – dont la très belle scène finale –, mais qui ne remet pas en cause la filmographie de l’œuvre.